les Allemands n’auraient pas dû faire aussi bien, les Soviétiques beaucoup mieux

Paracolo me faisait la remarque que je ne parlais pas assez de l’armée rouge lors de l’opération Barbarossa, nous allons donc essayer de combler cette lacune.

Evidement un petit sujet ne suffit pas à faire le tour de la question, je vais donc essayer de simplifier, peut être parfois au prix de quelques imprécisions, nous pourrons en discuter.

Donc ou commencer ? Pourquoi pas par la fin.

Le bilan de Barbarossa, s’il est sans appel pour la Wehrmacht qui subit une défaite stratégique insurmontable, est absolument catastrophique pour l’armée rouge qui va mettre plus d’un an à s’en remettre.

A la Noel 41, 80% des troupes soviétiques engagées aux frontières avec le Reich le 22 juin 41 sont dans des fosses communes ou prisonnières, le matériel a été détruit ou capturé dans de plus grande proportion encore.

Comment expliquer ce paradoxe central a l’opération Barbarossa comme dit l’historien Lopez : « Sur le plan militaire, les Allemands n’auraient pas dû faire aussi bien, les Soviétiques auraient dû faire beaucoup mieux ».

En effet, sur le papier, depuis le lancement massif du réarmement par Staline au debut des années 30, par la quantité de soldats et de ses matériels, l’armée rouge est la première au monde. Elle est aussi la seule à  pouvoir s’appuyer sur 3 facteurs essentiels :

* une industrie déjà largement à son service,

* une société en voie de militarisation

* une doctrine moderne de conduite des opérations.

Et pourtant….en juillet 41 cette armée qui se croyait invincible va être domines au point d’arriver au bord de la destruction…et pourtant, en décembre 41 cette même armée va faire subir un échec retentissant à la Wehrmacht….Comment ceci est-il devenu possible ?

Voyons d’abord le bilan  apocalyptique, il n’y a pas d’autre mots, de Barbarossa.

Pour un soldat allemand tué, tombent 5 soldats soviétiques, 10 si on compte les 2 000 000 de prisonnier qui vont mourir des conditions inhumaine dans les mouroirs à ciel ouvert de la Wehrmacht entre juin 41 et janvier 42.

Il faut sacrifier 10 chars soviétiques pour un char allemand, 4 avions contre 1.

En valeur absolu cela se traduit C’est 1 500 000 morts soviétiques pour 351 000 Allemands, 1 500 000 morts civils soviétiques, 3 300 000 prisonnier dont 2 000 000 vont mourir avant janvier 42, c’est enfin 1 500 000 de soldats soviétiques blessés pour 800 000 Allemands.

En tout donc 5 500 000 morts* en grande majorité Soviétique, Une hécatombe sans précèdent dans l’histoire de l’humanité. Et pourtant, la résilience de l’armée rouge est telle, qu’elle va réussir, au prix d’une réorganisation drastique et du sacrifice de millions de ces soldats en quatre mois, à retourner la situation devant Moscou et devant Rostov au sud.

* Le Bearnais m’a fait la remarquer que l’addition des 5.5 millions n’y était pas, c’est que je n’ai pas détaillé les 80 000 morts de l’axe (Italien, Roumain, Hongrois, Finlandais, Slovak, ect…) ainsi que 43 000 disparus Allemands.

Et puis à partir du moment ou il faut se battre tout seul sur plusieurs fronts avec plus d'ennemis que de fronts, à la fin çà casse.

Afin de se représenter l’hécatombe apocalyptique pour l’union Soviétique de cette opération, si on considère que l’opération va durer  6 mois, de la fin juin à la fin décembre, c’est plus de 1,300 personnes, civil ou militaire, de l'Axe ou Sovietique, qui vont mourir chaque heures de chaque jour pendant  6 mois, sur ces 1 300 personnes, 1160 sont Soviétiques. C’est juste affolant….

Il y a un beau livre de témoignage, c’est celui de Nikolai Nikoutine qui fit toute la guerre, de Leningrad à Berlin, au front, qui livre un récit aussi poignant que glaçant de la vie et les combats au sein de l’armée rouge.




Il dit à propos de l’hécatombe de juin-décembre 41  « ce n’était pas la guerre, mais du meurtre. Les armées allemande sont entre chez nous comme un couteau dans du beurre, on a inondé ce couteau de sang».

Merci ARB, d'avoir apporté cette précision, concernant les morts, en annexe de ton récit. Ma remarque par MP hier, avait pour objet de ne pas polluer ton sujet par des échanges plus ou moins appropriés.

A présent, ton récit est plus clair dans la réflexion et peut être aussi, pour mieux comprendre la suite. Cela ne peut qu'apporter plus d'intérêt à lire ton récit. Encore merci.

Le Béarnais a écrit:

Ma remarque par MP hier, avait pour objet de ne pas polluer ton sujet par des échanges plus ou moins appropriés.

Demander une précision ou poser une question ne pollue en aucun cas un sujet et j’encourage les membres à le faire. Cela rend vivant les sujets et montre qu’ils sont lus, c’est important pour ceux qui passent des heures à compiler, écrire, rechercher les documents et les digitaliser, tailler les documents, faire la mise en page, ect…

Tout à fait remarquable !! ils ont vécu un véritable enfer !!

Essayons de comprendre les raisons qui peuvent expliquer que malgré une remilitarisation massive initiée par Staline au début des années 30, l’armée rouge en est arrivée à un tel niveau de médiocrité lors de déclenchement de Barbarossa.

Dupuis la fin de la guerre et jusqu’au début des années 80, il n’y avait qu’une réponse simple, voir simpliste, à la question de la défaillance de l’armée rouge, qui se résumait en deux mots « purge et surprise ».

Vraiment ?


Les grandes purges de 1937-38

Le 12 juin 1937, le maréchal Toukhatchevski, le plus célèbre des maréchaux de l’armée rouge, était exécuté pour haute trahison. C’est le résultat d’un jeu de billard à trois bandes joué entre Staline, qui veux « communiser » son armée.

Staline, par l’intermédiaire du General Nikolai Skoblin, va intoxiquer Reinhard Heydrich en lui faisant croire que de haut commandant de l’armée rouge veut tenter un coup contre Staline. Heydrich plonge dans le piège en y voyant un moyen d’affaiblir l’armée rouge, fait fabriquer de faux documents incriminant le maréchal Toukhatchevski, et fait passer ces documents au NKVD. Staline obtient, dans son plus pure style, la justification de la grande purge de l’armée rouge.




En seize mois, plus de 40 000 officiers sont arrêtés, torturés, obligés à de fausses confessions 27 000 sont au mieux déportés au pire exécutés par le NKVD. Une perte sèche de 27 000 officiers ne représente numériquement qu’une infime partit des officiers de l’armée rouge, donc d’un point de vue quantitatif, la purge n’est pour rien dans l’affaiblissement de l’armée rouge. Par contre qualitativement, c’est une autre histoire.

En effet, plus on monte dans la hiérarchie, plus importante sont les pertes. Sur les 5 maréchaux Soviétique, Mikhaïl Toukhatchevski, Kliment Vorochilov Aleksandr Iegorov, Semion Boudienny et Vassili Blücher, seul Vorochilov et Boudienny survivent. 


Sur 16 commandants d’armée, 14 sont liquides, c’est 60 commandants de corps sur 67, 136 commandants de division sur 199, 221 commandants de brigades sur 397. Durant les 543 jours que va durer la purge, 506 officiers généraux vont perdent la vie sous les balles du NKVD, ce sera seulement 287 pendant les 1 418 jours de guerres qui tomberons sous les balle  de la Wehrmacht !

Tous les chefs les plus expérimentés, ceux qui ont développé le concept d’art opératif, les cadres qui on participés à la guerre d’Espagne ou en Extrême-Orient on disparues.

Dans l’aviation, c’est 30% des cadres qui ont disparu, avec des conséquences immédiates remarquable : le nombre d’accident lors de la formation des pilotes explosent. Même Vorochilov, un des grands pourvoyeurs de la purge déclare le 29 Novembre 38 « Est-ce que vous vous rendez compte que, durant la dernière année, nous avons perdu 1 134 avions ? Aucun pays limitrophe n’a jamais rêvé d’avoir autant d’avions, Imaginez que nous avons perdu 226 pilotes ! Un régiment tout entier ! ».

Une autre conséquence dramatique de la grande purge et l’effet délétère durable qu’elle a eu sur la psychologie de l’armée rouge.

Joukov déclarera après-guerre, « l’armée avait été non seulement décapitée, mais aussi dépravée et démoralisée. La discipline était en chute libre, l’absentéisme et la désertion avaient beaucoup augmenté».

Koniev insiste lui beaucoup plus lourdement sur le fait que l’effet des purges furent plus sur le morale de l’armée rouge que sur son efficience ; « Affirmer que si les commandants d’armée, Maréchaux avaient été à la tête de l’armée, tout se serait bien passe à l’été 41 est faux. L’essentiel est que, sans les répressions de 37, il n’y aurait pas eu ce climat lourd qui a  complètement pourri l’armée. »

De fait, la peur s’installe, peur de Staline, du NKVD, des mouchards. La démoralisation entraine l’apathie des chefs et encadrants.  Les séances d’autocritique  et les interrogatoires de la troupe empêchent toutes formations efficaces.

La conséquence mortifère pour l’armée, et que à tous les échelons, du corps des sous-officiers aux officiers généraux, on ne prendra jamais d’initiative afin de ne pas s’exposer à la répression. On suivra aveuglements les directives, sans prendre en compte les réalités du terrain, aux mépris des pertes humaines.
Ce phénomène est amplifié par la médiocrité de l’encadrement, nous y reviendrons. Mais afin d’éviter que l’incompétence des sous-officiers et officiers de terrains n’entrainent des catastrophes tactiques, on leur demandera de suivre à la lettre les directives. L’effet en sera….catastrophique.

Une autre conséquence, et que de 1937 à 1942, les visions et les préceptes de la conduite des opérations militaires dans la profondeur, largement développée par Toukhatchevski, seront bannie de la pensée des commandants d’armée et des penseurs militaire soviétiques. Toukhatchevski ayant été torturé* puis exécuté par le NKVD, le fait même de prononcer le terme « d’art opératif » vous exposait à une arrestation. La peur, encore elle…

L’armée rouge va alors abandonner les percepts de l’art opératifs et des unités mobiles et indépendantes pour basculer dans le concept de gigantisme. La mise sur pied des « armée de tanks » en est une des exemples les plus dramatiques. Ces pachydermes impossibles à manœuvrer vont se faire pulvériser à l’été 41, entrainant des pertes en hommes et matériel effroyables. 

Cela ne touche pas seulement l’armée elle-même, mais l’industrie de l’armement, la recherche scientifique. Le développement du T34, du Shturmovik, des Pe-2 par exemple, en seront retardé de plusieurs mois.




La perte en obus est estime à 4,2 millions, 3 millions de mines, 2 millions de bombes d’aviation. Parmi les 1 117 000 douilles d’obus produites, 963 000 seront défectueuses !!.


Ainsi on le voit, la grande purge a affaiblit l’armée rouge de l’intérieure mais aussi de l’extérieur. Hitler n’y voit plus qu’un instrument inefficace et pourris. Les observateurs politiques Britannique, Français et Américain pensent que l’armée rouge « n’est plus qu’un espoir perdu ». Cela va participer à ostraciser l’URSS dans les années 38-39 et sera une de raison qui mènerons Staline à accepter l’offre d’Hitler et de signer le pacte Ribbentrop-Molotov en aout 39.


Par contre, tout n’est pas complétement noire, puisque paradoxalement, ces purges ont permis effectivement à Staline de « communiser » son armée, ce qui favorisera sa restructuration à marche forcée de 41/42. De plus cela favorisera l’émergence de jeunes commandants qui revisiteront les visions de Triandafillov, Svietchine ou Toukhatchevski ce qui mènera l’armée rouge à devenir l’outil terriblement efficace de 1944.




*En 1988, la Pravda a révélé que le procès-verbal du première l'interrogatoire de Toukhatchevski, signé par lui-même et conservé aux archives de la police secrète soviétique, est balayé - détail inhabituel effrayant - de « longues giclées de sang ».

A noter que les purges ont continuées, dans une moindre mesure, jusqu'au déclenchement de "Barbarossa" contre des officiers mais aussi des ingénieurs en armement.

zitoune a écrit:

A noter que les purges ont continuées, dans une moindre mesure, jusqu'au déclenchement de "Barbarossa" contre des officiers mais aussi des ingénieurs en armement.

Même au-delà, en fait il faut attendre octobre 42  et le danger de Fall blau, avec la disparition partielle, sur ordre de Staline, des commissaires politiques (du moins de leur influence sur les opérations militaires), pour voir se desserrer le carcan politique sur l’armée rouge.

ARB a écrit:

Même au-delà, en fait il faut attendre octobre 42  et le danger de Fall blau,

 Fall Blau , c'est quoi ??

zitoune a écrit:

 Fall Blau , c'est quoi ??

Le plan d’offensive de printemps de la Wehrmacht de 1942.

Ne pouvant plus envisager de lancer une offensive sur l’ensemble du front, la Wehrmacht, après le désastre de Barbarossa, ne peut plus se le permettre, Hitler décide, contre l’avis de son état-major (qui veux pousser sur Moscou, encore une fois), de porter son effort sur le Sud afin 1- de sécuriser la région pétrolifère du Caucase et 2-de couper la Volga, axe de ravitaillement des produits US venu d’Iran.

Apres un début prometteur et la deuxieme bataille de Kharkov, Hitler va croire que l’armée rouge est détruite, alors que celle-ci opère maintenant des replis stratégique afin de ne plus subir les destructions massive qui caractérisèrent la campagne de Juin/Juillet 41.

Hitler va ainsi reproduire, encore une fois, son erreur stratégique de poursuivre tous les lapins en même temps.

Vont s’ensuivre un embouteillage énorme lorsque le groupe d’armée A va devoir se diriger vers la Caucase, coupant ainsi la poussée de groupe d’armée B de Paulus sur Stalingrad. La suite, on la connait.

ARB a écrit:

La conséquence mortifère pour l’armée, et que à tous les échelons, du corps des sous-officiers aux officiers généraux, on ne prendra jamais d’initiative afin de ne pas s’exposer à la répression. On suivra aveuglements les directives, sans prendre en compte les réalités du terrain, aux mépris des pertes humaines.

C’est la une différence essentiale entre l’armée rouge et la Wehrmacht, qui explique en grande partie pourquoi la Wehrmacht gardera, jusqu’à la fin de la guerre, une supériorité tactique sur l’armée rouge.

1- Dans la Wehrmacht, les commandants de terrain, sous-officiers compris sont formés et capables de commander un voir deux échelon au-dessus. Ainsi il ne sera pas rare de voir un adjudant prendre la tête d’une compagnie.


2-Dans la Wehrmacht, c’est le terrain qui commande, et la flexibilité est importante. Ainsi on donne un objectif, mais on laisse toute latitude aux hommes qui commandent de choisir la tactique afin réaliser les objectifs donnés en fonction des données du terrain.