Quelques mots...

Il y a quelques jours, j’ai entendu quelqu’un faire la guerre avec des mots. D’habitude, on la fait avec sa peau, ou celle des autres. Cela m’a étonné et puis réflexion faite je me suis rendu compte que c’était possible. Il y a donc des mots armés !
Cela m’a donné l’idée de lancer quelques mots, là, comme ça. Rien que pour voir de quoi ils sont capables…
 
 
 
Les mots
 
Oui, il y a des mots interdits. Ceux que l’on n’a plus le droit de placer à table par exemple.
Des mots couverts ?
Non, des mots casés.
Des mots croisés ?
Pourquoi croisés ? Non, des mots simples et pas forcément compliqués.
Des mots couchés sur une table dans des cases ?
Oui, il y en a ! Des mots de scrabble par exemple.
Mais il y a d’autres mots interdits.
Ceux qui se cachent derrière les mots. Des mots à double ou triple sens. On ne les voit qu’à la nuit tombée, éclairés par les braises de la cheminée. Ce sont des mots incendiaires sur lesquels il suffit de souffler. 
Comme sur les braises.
Certains les emmènent avec eux en voyage au fond d’une boîte. Ils font des échanges et parfois les oublient sur une banquette. Cela peut entrainer des catastrophes si un enfant joue avec. Un mauvais jeu de mots est toujours possible et il peut mettre le feu aux poudres.
D’autres mauvais mots restent enfouis au fond des bois. Sous la mousse, ils se sentent à l’abri et sortent le bout du nez pour prendre l’air. Ce sont de drôles de champignons silencieux. On ne les entend pas mais les sangliers savent où les trouver. 
Certains s‘étonnent d’avoir leur jardin labouré mais c’est parce qu’ils y ont caché certains mots désagréables.
Parmi les mots dangereux on trouve aussi ceux qui circulent librement et prennent les transports en commun. Ils fusent à n’importe quelle occasion. Lancés avec force, ils peuvent semer la panique ou faire dérailler un train. 
Rien ne les arrête véritablement. 
Quelques invectives arrivent à les ralentir mais il faut une force de conviction particulièrement puissante. Généralement on les laisse passer et on baisse la tête.
Il existe aussi des mots dont il faut se méfier. En particulier ceux qui se contentent de suivre les autres. Ils paraissent sans originalité mais ce n’est qu’une apparence. 
Agrippés aux autres ces « mots à mots » savent décrocher en temps utile pour profiter d’une bonne occasion de s’exprimer. En abandonnant le navire, ils précipitent son naufrage. Un mot à mot ayant perdu son premier mot meurt de dépérissement. Mieux vaut ne pas faire confiance à ces gens qui veulent voyager avec vous.
Et puis vous avez ceux qui attendent le dernier moment pour passer devant vous. 
Ce sont les derniers mots. 
Sournois, mystérieux, avec un sens du camouflage particulièrement développé, ils surgissent comme d’un chapeau pour prendre votre place. Et vous faire dire l’inverse de ce que vous pensez. Ainsi, certains se sont mariés plusieurs fois avec la même personne avant d’arriver à retenir leur dernier mot. C’est onéreux et parfaitement inélégant.
Pour éviter cet inconvénient, je connais des gens qui s’en tiennent toujours au même mot : un mot invariable en quelque sorte. Malgré la certitude de conserver toujours le même avis, c’est quand même lassant. De temps en temps, il faut quand même savoir utiliser des mots simples, dérivés ou composés.
Et que dire de ceux qui volent dans tous les sens ? Ces mots en l’air qui s’accrochent à n’importe quoi. Difficile à voir, à cerner ou à comprendre, ils profitent d’un instant d’inattention pour faire planer le doute. Généralement ils s’écrasent au sol après un vol éphémère mais ce n’est pas toujours le cas. Certains survivent. Ce sont des mots dépassés peut-être mais ils résistent au temps.
Les plus violents restent néanmoins ceux que l’on se jette à la figure. Il y en a beaucoup. Avec tarte à la crème ou enfarinés ces mots savent toucher les endroits sensibles.
Dans cette catégorie, il y a naturellement les mots qui tuent. Ils ne sont pas tous d’origine barbare ou issus d’un milieu délinquant. Certains sont même d’origine noble voire religieuse et même utilisés par des académiciens renommés. 
Ce sont des mots particulièrement surveillés et sévèrement punis en cas d’utilisation frauduleuse. En effet, sans accord préalable, ils vous envoient directement dans un autre monde. Leur usage est donc réglementé.
Naturellement, pour conclure, je dirais qu’il faut se méfier des mots. Ils peuvent dire n’importe quoi si vous ne les surveillez pas. 
Dans le fond, ils sont tous à mettre sous clef. Ne les laissez pas se promener en toute liberté en espérant avoir de bons mots. 
Il n’y a pas de bons mots, il n’y a que des mots.
Gardez-les au chaud, les uns derrière les autres, bien alignés comme à la parade.
À quel endroit ?
Dans un dictionnaire !
Ce sera mon mot de la fin.

Des mots, encore des mots, toujours des mots.... Ceux-ci m'avaient échappé