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Commandos IVTentatives de mise en application d’une doctrine concernant l’emploi des Forces Spéciales
En Cochinchine
Au 1er janvier 1948, la demi-brigade parachutiste SAS prend l'appellation de 1/2 Brigade Coloniale de Commandos parachutistes SAS, composée de 2 bataillons de combat : « Bataillons de Commandos Coloniaux Parachutistes » SAS (le sigle SAS disparaîtra au mois de juin 1948). Ces changements sémantiques sont la preuve que « La Coloniale » s'instaure partie prenante dans l'Arme aéroportée qui a largement démontré son intérêt en Indochine. Le choix du terme « Commando » qui remplace le nom ancien et classique de « compagnie » traduit la spécificité d'une troupe déterminée, ayant subi, en principe, un entraînement particulier et, de ce fait, est apte à des missions sortant de l'ordinaire.
Si les parachutistes ont été utilisés en Indochine de toutes les manières - parfois, d'ailleurs, abusivement -, certaines opérations menées par la DBCCP sont de véritables actions de Commando telles que le suggèrent les anciennes définitions (audace, surprise, absence d'appuis extérieurs, etc.).
Elles ont pour objectif l'exploitation de renseignements précis et récents concernant la destruction d'ateliers, de dépôts, de PC, de camps d'instruction, la récupération d'otages ou de prisonniers...
Mais il revient au colonel Chavatte, commandant les Troupes Aéroportées d'Indochine à partir d'octobre 1948, d'avoir imaginé et préparé un emploi complémentaire pour une troupe hors normes.
Si la 1/2 Brigade comporte dans ses structures une « Ecole de Commando » destinée à familiariser ses cadres avec les différents aspects du combat en Indochine et à l'appui éventuel à la formation de cadres locaux, en plus, le colonel Chavatte met sur pied, au Cap Saint-Jacques, une « Ecole de perfectionnement commando » utilisable à l'échelon de l'Indochine.
Elle a pour ambition la formation et l'utilisation d'agents autochtones destinés à la prise en main psychologique et technique d'éléments appartenant à des minorités ethniques ou religieuses, à des opposants au système viêt-minh.
Ces volontaires seront instruits en guérilla, sabotage, radio clandestine, recherche du renseignement, etc.
Des cadres instructeurs de cette école pourront être détachés dans les divers territoires du Viêt-nam.
Ainsi, le lieutenant Guillaume se rendra à Laï Chau auprès de Deo Van Long*dans le but de sensibiliser les responsables du Pays thaï à des formes de combat non conventionnelles.
* Président ce la Fédération ThaïSimultanément, le colonel commandant les T.A.P.I. procédera à la création de deux états-majors (E.M.O.), au nord et au sud, destinés à la recherche permanente du renseignement opérationnel et à l'établissement de contacts avec les populations afin d'y repérer des correspondants, agents, guides...
Au Sud Viêt-nam, sur le terrain, certaines petites unités appartenant aux diverses armes et dont l'effectif est surtout composé de partisans autochtones, poursuivent localement des activités non conventionnelles (tel le Commando Bergerol), elles doivent davantage, la plupart du temps, à l'humeur aventureuse de petits gradés ou d'officiers subalternes qu'aux initiatives du Commandement
Au Tonkin
Les parachutistes du G.L.A.P. *, contraints de participer à de multiples opérations aéroportées ou terrestres, n'ont pu, comme ceux de Cochinchine, développer la création de « Commandos ». La difficile occupation du delta a pour conséquence la contrainte de la sécurité des axes routiers et fluviaux. Il a fallu mettre en place près d'un millier de postes d'importance variable.
*GLAP : Groupement Léger Aéroporté, sensiblement équivalent à la 1/2 Brigade SAS.Cette situation et la médiocrité des moyens disponibles obèrent considérablement les capacités de manœuvre du C.E.F.E.O.
Malgré des succès et des résultats inégaux, les grandes opérations de nettoyage sont souvent comparables à des coups d'épée dans l'eau.
Quelques unités de secteur seulement pratiquent une guérilla active et efficace, reprenant avec profit les procédés de combat de l'adversaire, recherchant sans complexe ce dernier dans ses zones refuges.
Ce type de combat est le fait d'unités de partisans à très faible encadrement européen. Certaines d'entre elles, d'abord « sections d'intervention » puis « compagnies », ont déjà acquis une évidente notoriété ; on les appellera « Commandos » - précédant ainsi la terminologie officielle -, et on y accolera le nom de leur chef.
Le lieutenant Rusconi, chef du Commando 23 (Nord-Vietnam) tué le 7 février 1951 à Lac Trang, Tonkin
On cite souvent, parmi ces responsables sans complexe, le lieutenant Romary, dont la troupe est, administrativement, la 170e Compagnie de supplétifs militaires, le
lieutenant Rusconi, l'adjudant Vandenberghe qui a commencé sa fulgurante carrière comme chef du « groupe d'intervention » de la 5e Compagnie du 6e RIC et qui commande maintenant la 11e Compagnie légère de supplétifs militaires, ou encore le lieutenant Delayen, commandant la 80e C.L.S.M.
L'adjudant Vandenberghe présente son Commando au général de Lattre.
Vandenberghe, chef du Commando 24 (Nord-Vietnam) a été tué le 8 janvier 1951 à Té Banh
Chacun de ces commandos compte une centaine d'hommes ; les trois premiers ont pour caractéristique de les recruter parmi les Viets ralliés ou « retournés », pour la plupart ex-prisonniers.
Le lieutenant Delayen préfère procéder par la méthode de parrainage, la nouvelle recrue étant présentée par deux anciens qui ont fait la preuve de leur loyauté.
Les bouleversements consécutifs à l'arrivée au Viêt-nam du général de Lattre vont avoir des répercussions importantes dans la mise sur pied et l'emploi des Forces Spéciales et des Commandos.
Dès février 1951, sept compagnies légères de supplétifs militaires appartenant à des unités de l'arme blindée prennent l'appellation de « Commandos de reconnaissance ». (122e et 123e C.S.L.M./R.I.C.M., 124e et 125e C.S.L.M./R.B.C.E.O., 126e et 127e C.S.L.M./1er R.C.C., 128e C.S.L.M./8e G.S.A.P).
En avril, le général de Lattre décide la création du G.C.M.A. (Service Action dans le cadre du S.D.E.C.E.-Indochine).
A la disposition du commandant en chef, cette formation, destinée à opérer sur tout le territoire Indochinois a pour but :
« la préparation, l'organisation, la mise en place, la mise en œuvre d'éléments susceptibles de réaliser des opérations de guérilla, de sabotage, de filières d'évasion... », sous les ordres du lieutenant-colonel Grall qui conserve par ailleurs le commandement des E.M.O./T.A.R. Les T.A.P.I. fourniront d'ailleurs la majeure partie de l'encadrement européen nécessaire.
Insigne du Commando d'Extrême-Orient constitué par des volontaires du 2e Choc en 1945.
En juillet, concernant le delta tonkinois, la création de « Commandos de renseignement » est imposée par le général.
S'ajoutant aux 4 Commandos déjà reconnus (Rusconi, Romary, Vandenberghe, Delayen), huit commandos sont mis, sur pied par les parachutistes*.
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Commando n° 3 : lieutenant Ripert (7e BCCP) ;Commando n° 8 : lieutenant Lestang de Rengere (1er BCCP) ;Commando n° 9 : lieutenant Bruch (7e BCCP) ;Commanco n° 10 :lieutenant de Preville (2e BEP) ;Commando n° 12 :lieutenant Alereau (8e BCCP) ;Commando n° 16 :lieutenant Chaussade (10e BCPP) ;Commando n° 17 :lieutenant Oudinot (6e BCCP) ;Commando n° 19 :lieutenant Poey (1er BCCP) ;Commando n° 23 :lieutenant Rusconi ;Commando n° 24 :Adjudant Vandenberghe ;Commando n° 25 :lieutenant Romary ;Commando n° 13 :lieutenant De1ayen.Peu après, ces 12 Commandos passent à 30 et sont placés sous le commandement du lieutenant-colonel Fourcade, ancien du Commando Conus et chef de corps jusque là du 1er Bataillon colonial de Commandos parachutistes*. [
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Depuis février 1951 bataillons de parachutistes coloniaux sont devenus bataillons coloniaux de Commandos parachutistes.La mission de ces unités qui prendront le nom de Commandos Nord Viêt-nam consiste à recueillir le maximum d’informations au profit du Commandement sur les activités de l’ennemi dans leur zone d'affectation.
Les directives précisent qu'il s'agit de « renseignement de contact sur le front et ses arrières immédiats et que les Commandos ne doivent engager le combat que dans la mesure exigée par la conquête du renseignement ».
Il est évident que cela revient à monter des embuscades et des coups de main en territoire ennemi pour désorganiser l'adversaire par des actions audacieuses, pour capturer des prisonniers et pour opposer la contre-guérilla à la guérilla. En fait, chacune de ces petites unités doit aspirer à devenir une épine douloureuse dans la chair vive de l'ennemi.
Alors que la mise en œuvre ambitieuse du G.C.M.A. va demander des délais, l'action des Commandos de renseignement va démarrer très vite, d'autant que certains possèdent déjà une expérience qui leur a déjà apporté la renommée.
« Les Commandos devaient être la masse élastique placée dans les interstices des fortifications pour lancer au-delà leurs tentacules : petits organes de renseignement, de couverture mobile et de harcèlement.Si la grande expérience du Corps Expéditionnaire réussie sous de Lattre fut l'amalgame franco-vietnamien, l'expérience des Commandos tenta un amalgame plus audacieux encore, un « amalgame franco-viêt-minh » réalisé par quelques « baroudeurs » français et une majorité d'ennemis ralliés ou convertis. L'efficacité des Commandos ainsi recrutés prouva que même dans une guerre dite idéologique, les facteurs primordiaux restent l'organisation, la discipline, la personnalité du chef et l'intérêt. Dans l'ensemble, la démonstration fut concluante.»Jean-Pierre DannaudLes résultats obtenus par les quatre Commandos cités précédemment, souvent spectaculaires et impressionnants, ont pour résultat de provoquer à leur propos une réputation méritée et un engouement de l'état-major pour des procédés de combat jusque là considérés comme originaux.
Aussi, la décision du général de Lattre concernant la création et la multiplication des Commandos de renseignement dans le delta tonkinois reçoit, au moins théoriquement, l'appui du Commandement.
Le capitaine Manil, ancien du 2e Bataillon de choc 1944-1945, commandant le Commando d'Extrême-Orient cette unité devenue Compagnie du 22e RIC tué en Cochinchine, secteur de Phuoc An le 9 mars 1946
Le général Gambiez, ancien chef de corps du Bataillon de Choc et des Commandos de France pendant la guerre en Europe, à l'état-major du Généchef, se fera l'actif promoteur de cette adaptation du combat choc au conflit indochinois.
Toutefois, il ne suffit pas de prôner le système utilisé par les Vandenberghe et Rusconi pour provoquer des vocations d'autant que certains chefs de corps et commandants de secteur sont réticents pour fournir un encadrement de valeur et des supplétifs, plus ou moins instruits, qui leur feront défaut.
La constitution de ces Commandos obéit à des règles administratives et diffère donc de l'improvisation instinctive qui a présidé à la mise sur pied et à l'existence intense des Commandos déjà reconnus.
La première difficulté résidera dans un sous-effectif permanent dans l'encadrement européen (théoriquement 9 Français par Commando) ; la seconde est le fait de la situation administrative et surtout financière des supplétifs.
A l'encontre des « réguliers », les hommes des Commandos ne sont pas liés par contrat, ils perçoivent une solde à peu près trois fois inférieure à celle des « réguliers » * pour un travail plus dangereux et des conditions de vie moins confortables. En cas de blessure, il n'est pas prévu de pension ; en cas de décès, rien n'est envisagé pour la famille.
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Solde mensuelle d un « régulier » 647 piastres, contre 288 piastres pour un « Commando »Pendant cette période au cours de laquelle s'affirme la tournure particulière de la guerre d'Indochine, des unités d'importance variable se baptisent -ou sont baptisées- « Commandos »*, soit en raison d'une certaine indépendance administrative ou même hiérarchique soit aussi parce que, justement, cette hiérarchie concède à un gradé volontaire une liberté d'action plus ou moins importante.
* Ce sera également le cas en AFN…Souvent, ces « Commandos » seront constitués par l'officier ou le sous-officier, chargés de recueillir le renseignement et, suivant son importance, éventuellement l'exploiter avec ses partisans.
Sergent chef d'un Commando d’un régiment de tirailleurs marocains
Ainsi, ces « Commandos » mis sur pied au Sud Viêt-nam vont s'ajouter à ceux chargés de la défense des plantations d'hévéas, en fait unités d'intervention. D'autres sont créés en Annam et au Cambodge, en fonction de situations locales particulières.
Mais, par exemple, parmi les volontaires qui, au moment de la fin des opérations en Europe, ont choisi la voie de l'aventure en Extrême-Orient, il faut noter la constitution d'un « Commando d'Extrême-Orient » à partir des volontaires du 2e Bataillon de Choc. Dès l'automne 1945, un détachement de près de 200 hommes et gradés est mis sur pied par le capitaine Manil.
Le 2e Choc, qui vient d'être dissous, est d'origine FFI et n'a eu, de la guerre en Europe, qu'une expérience relativement brève et limitée. Aussi le « Commando » suivra-t-il un stage de plusieurs semaines avant d'être mis en route vers Saigon. Là, malgré ses espoirs et ses ambitions, il devient une compagnie du 21e RIC.
Le capitaine Manil est tué quelques jours après son arrivée dans une embuscade classique au cours d'une ouverture de route et même si les survivants tiennent à conserver l'appellation de Commando, ils seront utilisés dans le combat d'infanterie auquel sont confrontées toutes les unités du C.E.F.E.O.
Par ailleurs, les réticences financières des services administratifs vont contraindre à l'existence d'engagés et même de Commandos fictifs. Pourtant, s'agissant d'armement léger (provenant souvent de récupérations sur l'ennemi), de tenues de coton analogues à celles de l’adversaire - y compris parfois le casque de latanier -, l'équipement matériel coûtera peu.
Mais la mise sur pied d'un centre d'instruction et de formation à Vat Chay n'a pas été programmé dans le budget, ni prévu dans les dépenses de fonctionnement.
Cela n'empêche pas qu’en novembre 1951, est décidée la constitution de 15 Commandos supplémentaires portant le total de ces unités à 45.
Ces nouvelles unités seront mises sur pied à partir de C.L.S.M. existantes.
UMDC (Unités Mobiles pour la Défense de la Chrétienté) du lieutenant-colonel Leroy, région de Bentre (Sud-Vietnam).
D'autres unités de partisans mènent, en moyenne et haute régions, des combats de guérilla souvent sans même la proximité et l'appui éventuel des unités régulières.
Elles sont constituées par des autochtones appartenant à des minorités ethniques, non annamites, qui, après avoir refusé la suprématie japonaise, ont pratiquement libéré seules, les zones montagneuses du Tonkin où la pauvreté en effectifs du C.E.F.E.O. ne permettait la présence que de faibles détachements sans grands moyens.
A partir de 1951, ces zones deviendront un des terrains opérationnels du G.C.M.A. ...
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