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Le Commando Bergerol
Rien ne semblait désigner le lieutenant Pierre Bergerol pour devenir, en Indochine, un chef de commando réputé.
Jeune polytechnicien, artilleur à l'expérience militaire très limitée au cours de la campagne d'Allemagne, il débarque, volontaire, à Saigon, à la fin de novembre 1945.
Lieutenant Pierre Bergerol
Quelques semaines d'interventions classiques dans la périphérie de Saigon - où, faute d'effectifs, les artilleurs exécutent des missions d'infanterie -, le persuadent que les chances de réussite sont ailleurs que dans les méthodes mises en œuvre par le Commandement.
Grâce à ses relations avec le général de Guillebon, il obtient de mettre en application ses idées dans un secteur tenu par le lll/RACM.
La zone intéressée appartient à la Plaine des Joncs, un immense marécage situé au nord-ouest de Saigon et s'étendant sur des milliers de kilomètres jusqu'à la frontière cambodgienne, refuge des bandes viêt-minh ; le PC de la rébellion s'y serait installé.
Basé à Cho Song Tra, dans la région de Duc Hoa et du Rau Ram, Bergerol peine à convaincre sa hiérarchie.
Il obtient cependant quelques armes déclassées et l'autorisation de recruter quelques partisans. Avec ces hommes pour lesquels, comme pour lui-même, il a adopté la tenue de coton noir de l'adversaire, il procède à des incursions discrètes en zone ennemie, fait des prisonniers, ramène des renseignements...
Les succès lui permettent de passer à la vitesse supérieure. En mars 1946, il commande une cinquantaine de partisans encadrés par quelques jeunes artilleurs français volontaires.
Il a choisi ses hommes parmi certaines minorités (catholiques, Tonkinois, Cambodgiens de Cochinchine).
Son armement est toujours hétéroclite ; l'efficacité incontestable de sa troupe lui vaut cependant d'être souvent hypothéquée par le Commandement pour des missions de servitude : interventions en cas d'attaque de poste, protection de convois, escortes...
Le général Chanson qui vient de prendre la responsabilité de la Cochinchine, en raison de la dégradation de la situation autour des postes trop statiques, ordonne la constitution de sections d'intervention dans chaque secteur.
La réputation et l'expérience du lieutenant Bergerol lui valent d'être chargé de celle du secteur de Duc Hoa.
Son matériel n'est pas pour autant amélioré et s'il conserve, autant que faire se peut, l'initiative pour certaines activités, il n'en est pas moins astreint à participer à de nombreuses opérations importantes avec d'autres unités régulières pour des résultats souvent médiocres.
Il en profite cependant pour entraîner sa troupe à l'infiltration en territoire ennemi, à la progression dans des terrains réputés impraticables.
Il ne s'agit certes pas d'un entraînement « commando » comme il se pratique chez les paras SAS mais de l'utilisation rationnelle de l'instinct guerrier des partisans, de la connaissance du terrain et de l'ennemi, mises en musique par un homme de guerre-né.
Ainsi, la troupe de Bergerol possède une double capacité : c'est une infanterie d'élite et elle possède toutes les ressources d'une unité non conventionnelle.
Retour d'opération du Commando Bergerol
Le lieutenant Baron encadré par les maréchaux des logis Lasne-Rochelle et Gérardin tués le 20 mars 1947 La situation s'aggravant au Sud Viêt-nam, le général Chanson préconise la transformation des sections d'intervention en compagnies et demande la multiplication d'actions d'envergure contre la Plaine des Joncs.
Le 31 mai, au cours d'une de ces actions, lors d'un combat de rencontre, l'aspirant Barraud, l'adjoint de Bergerol, est tué, l'ennemi perd une mitrailleuse, un FM, quinze fusils.
Le 7 août, le Commandement décide de créer à My Tho une « Compagnie de commandos » à partir des hommes de Bergerol et de ceux des unités d'intervention. Bergerol en reçoit la charge.
Il a donc sous ses ordres un effectif important : 3 sections de FV, un groupe de mitrailleuses, un groupe de mortiers de 60 et un groupe du génie.
Les deux mitrailleuses l'une, US de calibre 30, l'autre, allemande, une MG 34, pratiquement hors d'usage doivent être remplacées par deux F.M., les tromblons lance-grenades ont été fabriqués à Cholon par un artisan chinois, le poste radio, inapte au service de l'infanterie doit être transporté par des coolies, les batteries accrochées à un bambou porté par deux hommes...
Flottille de « trois planches »moyens de transport courant du Commando Bien que composée de cadres européens et de partisans déterminés, cette unité constitue une grosse compagnie d'infanterie qui devient une troupe à tout faire pour le Commandement qui sait pouvoir compter sur le courage de ses composants.
Le 12 septembre, Bergerol et ses hommes sont appelés à dégager le poste de Bu Mua, encerclé et sérieusement harcelé. Au cours de la manoeuvre, la compagnie commando tombe dans une embuscade, faute de communication radio, l'appui d'artillerie ne peut être obtenu.
Le lieutenant Bergerol est tué ainsi que 4 sous-officiers européens et 14 partisans.
Le 15 septembre, alors que le lieutenant est enterré à Mytho, une décision de Saigon donne à la compagnie commando, le nom de « Commando Bergerol ».
Le « Commando Bergerol » va poursuivre sa carrière avec d'autres officiers et sous-officiers artilleurs volontaires, d'autres partisans annamites et cambodgiens.
L'unité ne sera pas toujours employée suivant la vocation souhaitée et initiée par son « inventeur », le lieutenant Pierre Bergerol.
Les nécessités du combat incessant, la pauvreté des moyens mais aussi, souvent, le manque d'imagination du Commandement, ont contraint ces artilleurs très particuliers à des opérations classiques d'infanterie plutôt qu'à des activités non conventionnelles.
A Mytho, le lieutenant Sarda assure la remise en ordre du Commando quelque peu désorganisé par les pertes, les rapatriements d'Européens en fin de séjour, des accidents divers.
Les activités opérationnelles, sans cesse exigées par les autorités du secteur, n'en seront pas ralenties pour autant ; elles permettent l'accoutumance des nouveaux cadres et l'instruction pratique et efficace des partisans.
Le 6 décembre 1947, à Than Binh, le Commando prend une part importante dans la destruction du TD 120 menée en coopération avec diverses unités régulières.
Sous le commandement du lieutenant Rouppert, il ne cesse de se faire remarquer par une présence constante sur le terrain.
Son chef, chaque fois qu'il le peut, fait reprendre à sa troupe ses activités spécifiques : infiltrations, raids, embuscades, coups de main chez l'ennemi.
Traversée d'un canal par le commando. Le 30 mai 1948, après une de ces opérations réussies, la section du lieutenant Lepretre participe, le 2 juin au dégagement du poste de Go Cat, où interviennent également les artilleurs du 4e RAC et les tirailleurs algériens. Les artilleurs perdent 16 tués dont 4 officiers et 4 disparus, le Commando perd lui 1 tué et 4 blessés. Le TD 105 subit des pertes très importantes.
Le 26 août, en Plaine des Joncs, au cours d'un raid audacieux, la section Lepretre tue 13 hommes et enlève le PC du TD et ses archives.
Le 6 décembre, à Tan Phuoc, un obus piégé tue le lieutenant Rouppert, chef de Commando, et deux officiers, le lieutenant Lepretre et le lieutenant Pages, chefs de section, sont blessés.
Malgré les qualités évidentes de l'unité, l'importance des services rendus et les résultats obtenus, il faudra encore plus de un an pour que ses PM Sten et ses FM à bout de souffle soient enfin remplacés par des armes plus récentes et que des postes radio convenables lui soient affectés.
Quelle que soit son efficacité, une unité ne figurant pas sur ses registres a peu à attendre de l'Intendance.
Sous le commandement d'officiers volontaires, de sous-officiers de grande classe (Parmi ceux ci le sergent-chef Couillaud qui de simple soldat à son affectation devint un des meilleurs chefs de section.), le Commando Bergerol, durant toute son existence restera un exemple pour les combattants de Cochinchine, même si d'autres troupes de secteur prennent également le nom de « Commando » et emploient avec succès les mêmes méthodes.
Le sergent chef Couillaud Le 12 septembre 1953, jour anniversaire de la disparition de son créateur, le Commando Bergerol recevait, à Mytho, la fourragère aux couleurs de la croix de guerre des TOE* La mise en place de l'armée vietnamienne ai cours de l'été 1953 amena la dissolution du Commando. Une partie de son effectif autochtone a été affectée à l'armée nationale ; le reste et les cadres européens participèrent à la formation de deux compagnies du Régiment de Corée avec lequel elles disparurert presque entièrement, le 24 juin 1954, dans l'embuscade sur la piste d'Ankhé où fut anéanti le GM 100.
*Une autre citation à l'ordre de l'armée, lui sera décernée le 29 janvier 1954, après la dissolution de l'unité Les points communs. Même si la création et l'emploi d'unités non conventionnelles ont, dans les deux cas que nous venons de voir, des origines différentes
- dans l'un, l'application des procédés de combat résultant de la formation européenne des troupes de choc,
- dans l'autre, le seul bon sens et l'instinct de cadres volontaires et déterminés, les similitudes sont flagrantes.
On les retrouvera d'ailleurs, la plupart du temps, dans toutes les formations dites de Commando ou Forces Spéciales en Indochine :
a) la motivation des cadres européens et autochtones complétée souvent par la présence de personnalités originales ;
b) l'emploi de volontaires locaux (aux motivations variables) ;
c) la formation empirique des personnels autochtones à partir de l'adaptation aux méthodes et procédés de l'adversaire ;
d) l'utilisation, souvent instinctive, de divers ressorts psychologiques tant chez les partisans que dans la population ;
e) les réserves initiales du Commandement, puis les erreurs de mise en œuvre.
Durant cette même période, au Tonkin, le Corps Expéditionnaire, trop limité dans ses moyens humains et matériels, s'en est tenu à des opérations classiques visant à la reconquête du terrain, contre un adversaire puissant et organisé.
Des tentatives de procédés de combat plus originaux n'ont pas reçu l'agrément au Commandement.
Par exemple, le 1er Bataillon de Choc, engagé depuis février 1947 dans de multiples opérations terrestres de pacification et aéroportées, éprouve les plus grandes difficultés pour recruter le groupe de partisans réclamé par l'officier de renseignement.
Le refus de prise en compte administrative nécessite l'emploi de fonds non officiels...
L'armement doit être prélevé sur les prises à l'ennemi...
Ces partisans, recrutés par le lieutenant Hentic et le lieutenant Cavasse ne pourront suivre le Bataillon durant ses opérations en Cochinchine, car ils ne pourront être embarqués, faute d'existence administrative...
...Il faudra les licencier.
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