carnet de marche Tonkin octobre 1948

Je pense que vous n'aurez pas de mal à trouver mes sources, le livre est connu, j'essaye juste d'illustrer le très intéressant sujet de Rpima-6 sur le manuel à l'usage du jeune chef de section du 1er RCP débarquant au Tonkin ...

Le transport de troupe Maréchal-Joffre jette l'ancre en Baie d'Along le 2 octobre vers 14 h sous un soleil de plomb.  Le 2/1e RCP passe progressivement sur les stationnaires  qui font la navette entre la baie et les quais d'Haiphong; les bérets-bleus touchent terre au crépuscule et installent leur barda dans les rames de GMC qui les répartissent aux points désignés; pour la 7e compagnie, c'est l'usine de coton désaffectée; les paras passent la nuit  entre les machines.
Le lendemain, ils apprennent qu'après avoir nettoyé leur cantonnement improvisé, ils partiront en poste à Haiduong, à 50 kms à l'ouest (voir carte). Le soir venu, ceux qui ont quartier libre partent découvrir les petits restaurants et les savoureux plats locaux arrosés de thé fort et de choum.
Le 5 octobre à l'aube, le bataillon quitte Haîphong par le train d'Hanoî; la rotation des compagnies est assurée par une locomotive poussant un plateau de gravats et tirant les voitures et wagons où s'entassent les hommes;  le delta défile,  occupé par une infinité de rizières ponctuée par les îlots boisés où se cachent les villages de paillotes. HaÏduong est atteint en début d'après-midi.

 

Tandis que les paras s'affairent à transborder le matériel dans les GMC, le train revient en marche arrière: la voie a été sabotée un peu plus loin... les hommes sont contents: la guerre est là, médailles et promotions sont espérées. La noria de l'installation s'achève à la nuit, sur des positions de protection d'un poste au bord du Fleuve Rouge.
Le lendemain matin, les hommes de la section Jacobs découvrent, de l'autre côté du fleuve aux eaux boueuses, une ligne de villages: il faudra bientôt les inspecter, mais pour aujourd'hui il faut gagner en GMC par des chemins précaires  Van Thai, la base de départ de la première opération. Ils y sont en fin de journée. Très tôt le lendemain, les bérets-bleus partent en direction du village ennemi de Thai Duong, qu'ils atteignent au bout d'une heure de marche dans la boue et la brume. Le lieutenant a organisé sa section en deux groupes de protection et recueil, et deux commandos: ceux-ci se faufilent en silence vers le bosquet qui abrite les paillotes.
Les voltigeurs se plaquent au sol, un para se relève doucement, puis bondit sur une sentinelle viet-minh endormie! Les G.V. se relèvent, franchissent difficilement les multiples canaux fangeux qui découpent les broussailles protectrices, s'enlisent, s'efforçant de garder l'arme au-dessus de la tête, s'entraident et au moment d'atteindre les premières habitations, perçoivent des tirs désorganisés, ripostent, puis fondent sur des silhouettes qui s'enfuient. Une course-poursuite s'engage afin d'atteindre l'arroyo qui marque la limite du village et ramasser le plus de suspects possible.
Une fois regroupés dans la pagode qui sert de PC, ils sont interrogés par les partisans qui accompagnent les paras: six soldats vietminhs sont identifiés. 

La première opération est terminée et la colonne repart vers Van Thai dans les rayons du soleil levant

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..."franchissent difficilement les multiples canaux fangeux"...

La 7 est mise en alerte le 11 octobre au matin; elle doit rejoindre au complet le poste de Hoang Xa pour une opération nocturne sur le village viet de Cam Lo. Une grande partie de la journée est consacrée à la préparation du matériel. Puis à 17 h, une rame les embarque jusqu'au pont métallique. A partir de là, ils doivent gagner Hoang Xa le plus rapidement possible par les rizières inondées.

La longue colonne peine dans la nuit et la boue jusqu'à 21 heures. Arrivés épuisés au poste de la Coloniale, ils s'endorment sur place. Au réveil, ils apprennent  que les Marsouins sont partis monter le dispositif dans la nuit, en empruntant des sampans pour contourner Cam Lo par la boucle du canal. Les bérets bleus vont devoir monter l'assaut de face, en franchissant  le canal. A 6 heures ils sont en place au bord de l'eau quand les premières explosions se font entendre sur la rive nord.
Tandis que le gros de la compagnie reste en bouchon sur la rive sud, la section Lassalle traverse sur les sampans revenus les chercher, et la section Jacobs élargit le dispositif au bord de l'eau brune en direction du feu qui augmente: au nord on distingue le long ratissage qui progresse vers les paillotes.
Le feu baisse vite: les voilà! Une vingtaine de silhouettes accourent  dans la brume en direction de l'eau, à 300 mètres... trop loin, et disparaissent dans les joncs... tandis que les hommes de Lassalle rejoignent la longue ligne des Marsouins à Cam Lo.
Il est 10 heures, les Viets décrochent, ils sont une quarantaine à tenter le passage par la rive nord du canal, mais ils butent sur les autres sections qui ont traversé entre-temps, et ils arrivent face à la section Jacobs restée sur la rive sud en face: ils débouchent progressivement dans la broussaille des berges, 200, puis 150 mètres, cent mètres... Les tirs se sont tus... les joncs sont agités de vagues convergentes, 50 mètres... les voilà à découvert .
-Feu!

Le marécage sent la poudre. Les paras se relèvent tranquillement. Ils n'ont eu aucune perte. Les partisans relèvent le butin, amènent 4 prisonniers, dont un officier. Un drapeau viet a été pris.
Pourvu que ça dure. Les GMC attendent les paras à Hoang Xa.

16 octobre. A la nuit, les LCM embarquent la 7e compagnie sur la rampe du pont de Haiduong. La lente remontée du Song Luc Nam dure toute la nuit, après un arrêt à Sept Pagodes pour prendre un élément de tirailleurs. A l'aube, les hommes frigorifiés débarquent sous un poste qui tient une colline boisée au-dessus de la rizière. Ils perçoivent les premières boites de rations de leur séjour.
A 10 heures, ils sont survolés par une escadrille de Ju-52 qui vont larguer la 6 à vingt kms au nord: en avant!
Rapidement apparaît un village: désert... les premiers coups de feu ennemis, l'investissement prudent, durent vingt minutes; quand les viets décrochent, le village est immédiatement incendié par la queue de colonne, qui poursuit sa progression sur les diguettes de la rizière. Une seconde vague de Junker-52 passe.
A seize heures, après avoir reconnu un second village déserté, les paras de la 7 prennent contact avec la compagnie de commandement qui a été larguée un peu plus tôt: pour l'heure, tous les objectifs de l'opération sont atteints sans perte.
Peu après apparaissent deux nouveaux villages, cette fois fortement défendus.
Les mortiers de la compagnie sont mis en oeuvre pour la première fois, et la nuit indochinoise tombe... en plein pilonnage. Les paillotes sont donc investies dans l'obscurité, les paras creusent les trous individuels à la hâte, et la nuit passe, entrecoupée de coups de feu épars et du repli furtif des bo-dois. 


Le 18 à l'aube, les bérets bleus reprennent leur avance, occupent le second village mollement défendu: Derrière la colonne qui s'avance vers Mai Su, les incendies se succèdent. En milieu de matinée, dans un autre groupe de paillotes, les paras tombent sur une importante cache d'armes et de munitions: ils font tout sauter.
Les plaines rizicoles commencent à s'élever insensiblement, barrées de collines
couvertes de jungle abrupte: la progression de la colonne est de plus en plus pénible tout au long de l'après midi. Au soir les paras atteignent un village encaissé entre de hauts pitons aux pentes sombres. Une seule famille est restée; les hommes s'installent dans les cabanes,  tandis qu'une patrouille tente de reconnaître les versants.


Le lendemain, la progression reprend dans un relief d'escarpements couverts d'une  jungle omniprésente; la colonne de paras, renforcée d'une compagnie de tirailleurs et des nombreux coolies portant le matériel dans leurs balanciers, se fraie un passage aussi malaisé que monotone. Vers quinze heures, un gros village abandonné est atteint, implanté dans une vaste clairière rizicole cernée de collines broussailleuses.
Les postes sont à peine répartis qu'une intense fusillade venue des pentes nord
surprend les paras: les bo-dois sont en force , leur feu est précis et intense!
Les paillotes sont immédiatement occupées, la riposte s'organise à l'aveugle, tandis que la section Jacobs s'élance en débordement pour atteindre la ligne de crête: sans cesser de courir sur deux kilomètres de dénivelé,  ils parviennent à occuper la ligne de crête par un mouvement qui tourne le piège viet!
Se sentant doublés, les bo-dois diminuent leur feu, puis brisent le contact tout en remontant à leur tour : leur dangereuse manoeuvre a été déjouée, ils s'éparpillent progressivement sous la progression en tenaille des bérets bleus et des tirailleurs appuyés par leurs mortiers.

Après avoir repris son train de coolies au village, la longue conne repart vers Mai Su dans la fumée d'un nouvel incendie...

Après l'opération sur Mai Su, la 7 reste quelques jours en poste à Luc Nam détruite, puis rejoint Hanoi, où elle s'installe sur le site d'une imprimerie industrielle désaffectée, près de l'arroyo chinois.



Le mois d'octobre 1948 a été favorable aux paras du 2/1e RCP: l'ennemi n'a pas d'armement collectif, il se dérobe sans opposer de résistance frontale réelle, les bilans sont plutôt positifs, les pertes très faibles.
Par contre le terrain, difficile, la population fuyante, les destructions, l'activité économique réduite, laissent prévoir des lendemains difficiles. C'est ce que nous apprendrons dans le post suivant.