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"Nam Dinh ne tombera pas"
19 décembre 1946, les premiers coups de feu éclatent à Hanoï. La guerre d'Indochine commence.
Au mois de septembre, le 2e bataillon du 6e R.I.C., sous les ordres du commandant Daboval arrive à Hanoï. Daboval le sait, les Viêts vont attaquer.
La tension ne cessa de monter pendant la première quinzaine de décembre. En prévision d'une attaque, le commandant Daboval fit aménager deux îlots de résistance. A l'ouest, le camp Carreau, les bâtiments et les villas de la Société cotonnière, protégés par de hauts murs, constituaient une véritable forteresse. Au centre de la ville, la Banque de l'Indochine, un grand immeuble de trois étages, en béton, au milieu d'un jardin clos de grilles, fut rapidement transformée en fortin. La terrasse d'où l'on dominait toute la ville était ceinte d'une murette, où l'on perça des meurtrières. On entassa des vivres, du charbons,
Les 450 marsouins qui constituaient la garnison de Nam-Dinh, n'avaient pour tout armement que celui de l'infanterie : fusils, mitraillettes, fusils mitrailleurs, grenades, bazookas, mortiers de 60. En face d'eux, près de 6 000 hommes
Vers minuit, la guerre d'Indochine commence.
Une série d'explosions violentes secoua la ville : le Viêt-Minh venait de dynamiter les réservoirs d'eau. Puis des flammes illuminèrent le ciel : l'usine d'électricité était en feu.
Un témoin raconte :
"Nous entendions distinctement les hurlements des Viêts qui se lançaient à l'assaut. Ni radio ni téléphone. Nous ne savions rien des assiégés. Du haut de la terrasse, nos soldats dirigeaient un feu nourri sur les rebelles." Ho Chi Minh appelle tout le peuple vietnamien à se soulever contre la présence française, il dit:
« […] Que celui qui a un fusil se serve de son fusil, que celui qui a une épée se serve de son épée… Que chacun combatte le colonialisme. »À Hanoi, se déroulent des scènes d’horreur, pendant une semaine les combats vont faire rage, beaucoup de civils français seront massacrés à Vinh, au Nord Annam, la maigre garnison est internée (et le restera huit ans durant), ou encore à Langson et Haiphong, partout les Viets passent à l’attaque.
Et Nam Dinh ne tombera pas !
Les Viets ont attaqué partout à la même heure, 1 h 30 du matin. L’électricité a été coupée, tandis que tous les bâtiments administratifs sont pris d’assaut. Seuls résistent la banque d’Indochine et le camp Carreau.
Le premier tué a été le marsouin Latapie, qui montait la garde à l’extérieur.
Toute la nuit, la confusion règne. Passé l’effet de surprise, les Français ont réagi. Chaque groupe est pris à partie par des hordes vociférantes, brandissant fusils, haches, sabres japonais, bâtons. Pourtant les positions tiennent, attendant d’être dégagées par les unités d’intervention.
Au jour, le commandant Daboval a une idée juste de la situation. Elle est grave. Pratiquement encerclé au plus près, le bataillon est isolé, coupé de l’extérieur. Seul, le point d’appui de la banque d’Indochine constitue un îlot perdu au milieu des Viets. A l’intérieur, le sergent Herbelin, vingt ans, a tenu avec une poignée d’hommes. Sur la terrasse, il a tracé trois lettres destinées à l’aviation : SOS.
La journée se passe à colmater les brèches, à recompléter les munitions qu’un Junker a parachutées au milieu de la matinée.
A six heures du soir, l’attaque repart, aussi sauvage que celle de la nuit. Là encore les messages sont dramatiques :
— Ici la villa Gasser ! Il nous reste assez de munitions pour tenir dix minutes. Nous sommes foutus si… Deux minutes plus tard :
— Si vous n’arrivez pas vite, nous nous faisons sauter.
La villa Gasser est enfin dégagée. Devant la porte, les renforts découvrent soixante cadavres d’ennemis…
Au matin, les abords du camp Carreau sont jonchés de tués. Les marsouins en découvrent partout et jusque dans les caves…
Une semaine encore, Nam Dinh sera le théâtre de furieux assauts et puis, lassés sans doute, attendant d’autres renforts, les Viets se bornent à maintenir un siège en règle.
Peu à peu, la ville change de visage. Ce qui était l’une des plus belles villes d’Indochine prend des allures de champ de ruines. Les Viets procèdent à une démolition en règle, au canon, à l’explosif, voire à la pioche. Rien ne doit subsister de ce qui pourrait rappeler l’œuvre française.
Il y a maintenant quinze jours que les 400 hommes valides du II/6e RIC tiennent dans la ville assiégée. A la banque d’Indochine, Herbelin n’a plus que dix cartouches par homme et la ration quotidienne est de 200 g de riz. Son immeuble est la cible du 75 qui, obstinément, tente de percer une brèche dans le mur de béton.
Le 4 janvier, une première tentative de dégagement par le fleuve, menée depuis Haiphong par une flottille blindée, a été annoncée. Elle sera suivie par le largage d’un bataillon de parachutistes.
Le 5 janvier, les paras sautent. Une seule compagnie, celle du capitaine Ducasse et du lieutenant Edme, est larguée à proximité de la « cotonnière », trop loin pour être facilement récupérée, en plein sur les Viets. Toute la nuit, les paras se battent au couteau pour survivre. Au matin enfin, ils rejoignent les marsouins.
— Nous n’avons pas pu récupérer nos armes lourdes, dit Ducasse à Daboval.
— Cela ne fait rien, le prochain parachutage vous en apportera.
— Il n’y aura pas d’autre largage, répond Ducasse. L’opération a été jugée trop dangereuse, elle a été abandonnée…
La flottille non plus n’arrivera pas à destination, à l’exception d’un LCM amenant la 3e compagnie du 3e étrangers qui donne l’assaut à un canon japonais dont les servants se font tuer sur place.
Le reste de la flottille a fait demi-tour. Le piège se referme sur les paras et les légionnaires. Mais Daboval n’est pas homme à renoncer. Puisqu’il est impossible de le dégager de l’extérieur, il va tenter d’aérer son dispositif de l’intérieur. Lentement, maison par maison.
Les Viets ont compris qu’ils n’arriveraient pas à s’emparer de la ville, pas plus qu’ils ne parviendraient à la détruire.
A Hanoï, le commandement n’a pas renoncé l’opération de dégagement par le fleuve.
Du 2 au 6 mars, une flottille comprenant la 2e compagnie du I/3e étrangers remonte le fleuve Rouge, détruit les barrages qui l’obstruent. Son chef, le capitaine Vieulès, héros de Diên Biên Phu dans les rangs du 1er BEP, trouvera la mort en Algérie, au cours d’une embuscade.
Le surlendemain, 8 mars, un groupement de marche de trois bataillons, aux ordres du colonel Grosjean, effectue enfin la liaison avec les héroïques défenseurs de Nam Dinh. Les derniers soldats du Viêt-minh évacuent la ville dans la nuit.
Le 11 mars, enfin, le silence revient sur Nam Dinh délivré. Le siège est fini. Il a duré quatre-vingt-deux jours.
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