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S'il n'est pas possible de parler d'Oradour, on peut néanmoins en aborder les suites et notamment celles concernant le procès de Bordeaux.
Au moment ou la "justice" en France fait grand bruit, il est "amusant" de constater comme elle a une tendance à "arranger" la loi comme cela lui convient.
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Richard LUX
Avocat Honoraire
7 rue Louis Apffel
67000 STRASBOURG
Tél. 03 88 35 53 13
Fax 03 88 24 24 08
Strasbourg, le 7 Juin 2004
Monsieur le Garde des Sceaux
Ministre de la Justice
13 place Vendôme
75001 PARIS
REQUETE
EN VUE QU'A LA DEMANDE DE MONSIEUR LE MINISTRE DE LA JUSTICE SOIT ENGAGEE LA PROCEDURE DE REVISION DU JUGEMENT DU TRIBUNAL MILITAIRE PERMANENT DE BORDEAUX EN DATE DU 13 FEVRIER 1953 AYANT CONDAMNE A DES PEINES CRIMINELLES LES NOMMES BUSCH -ELSÄSSER - GRIENENBERGER - LOHNER - OCHS - PRESTEL - NIESS -GIEDINGER - HOEHLINGER - SPAETH, DEPUIS LORS DECEDES,
Etant en cela exposé et conclu :
Je soussigné Richard LUX, Avocat Honoraire, j'ai été, ensemble avec mes confrères constitués en défense, pour les susnommés leur défenseur, ayant notamment déposé pour tous des fins et moyens communs en défense et pour les nommés OCHS et BUSCH assumé la défense à leur titre personnel.
En quoi je formule requêtes aux fins sus énoncées en exposant et en concluant comme suit :
I –
A partir et sur le fondement de l'Acte d'Accusation signé par Monsieur le Commissaire du Gouvernement le 1er Décembre 1952, les susnommés BUSCH - ELSÄSSER - GRIENENBERGER - LOHNER - OCHS - PRESTEL - NIESS - GIEDINGER - HOEHLINGER - SPAETH ont été renvoyés pour jugement par-devant le Tribunal Militaire Permanent de Bordeaux du chef d'être auteurs, respectivement co-auteurs ou complices des crimes de guerre commis le 10 Juin 1944 par la Compagnie d'un Régiment appartenant à la Division de la Waffen-SS « Das Reich » de l'Armée Allemande ayant procédé à l'assassinat de 642 personnes constituant la population de l'agglomération d’Oradour-sur-Glane et à la destruction par incendie de toute l'agglomération.
Il est de fait notoire et non discuté qu'après l'armistice du 21 Juin 1940 l'Alsace, les deux départements du Bas Rhin et du Haut Rhin, ont été annexés comme partie intégrante du III. Reich national-socialiste-allemand sans que à ce moment où ultérieurement le Gouvernement Français ait formulé objection ou réserve contre cet acte contraire au Droit International ni non plus contre les actes ultérieurs d'assimilation de la population desdits départements à la législation intérieure nationale-socialiste-allemande.
Il est de même un fait notoire et non discuté que le « Chef de l'Administration Civile Allemande en Alsace » a édicté d'ordre et pour le compte du III. Reich Allemand l' obligation de tous les ressortissants alsaciens au service militaire dans les formations de la « Wehrmacht » allemande comportant notamment les formations militaires de la Waffen-SS, ce en quoi non plus n'ont été, à l'époque, formulées ni protestations ni réserves par le Gouvernement Français, ce qui eut pu, au moins partiellement, limiter l'implication forcée des Alsaciens dans les forces militaires allemandes.
Alors que de fait des classes entières d'Alsaciens ayant effectué leur service militaire dans l'Armée Française et ayant combattu avec elle contre l'Armée Allemande de Septembre 1939 à Juin 1940 étaient d'office affectées aux formations militaires de la Waffen-SS dont l'encadrement national-socialiste maximal devait empêcher toute velléité de résistance ou de désobéissance.
Il est, enfin, un autre fait : l'enrôlement forcé des Alsaciens dans l'Armée Allemande à partir de 1942 a constitué sur le plan du Droit International un crime de guerre ; le Tribunal Militaire de Strasbourg a pour ce motif de droit condamné à mort l'auteur de la mesure d'incorporation de force des Alsaciens dans l'Armée Allemande dans la période concernée et le nommé Robert WAGNER, chef de l'administration civile allemande en Alsace, a été fusillé à Strasbourg en exécution de ce jugement.
II –
La révision du jugement du Tribunal Militaire de Bordeaux du 13 Février 1953 est justifiée et fondée, elle se doit, eu égard au contexte sociologique et historique, d'être mise en oeuvre par Monsieur le Ministre de la Justice autant les poursuites ayant abouti au jugement ont été initiées par les autorités de l'Etat.
Un fait nouveau d'une importante et portée primordiale subséquent au jugement justifie la révision :
Le jugement du Tribunal Militaire de Bordeaux condamnant 13 ressortissants d'Alsace à des peines criminelles a été prononcé le 13 Février 1953. Sept jours après ce prononcé, le 20 Février 1953, l'Assemblée Nationale (Chambre des Députés) et le Sénat de la République ont voté la loi n°53-113 comportant « amnistie pleine et entière » des 13 Alsaciens incorporés de force dans la Waffen-SS.
Ainsi toutes les suites des condamnations à des peines criminelles prononcées à leur encontre ont-elles été effacées par ordre du pouvoir législatif de la République.
Cette décision législative a, au demeurant, mis fin au pourvoi en cassation engagé à la diligence de Maître LEMANISSIER, Avocat à la Cour de Cassation, contre le jugement du Tribunal Militaire de Bordeaux.
III –
Ainsi à peine une semaine après le verdict du Tribunal Militaire le pouvoir législatif de la République a considéré que le jugement du Tribunal Militaire de Bordeaux ne devait pas être exécuté, il avait nécessairement en cela une motivation emblématique pour considérer que la décision du pouvoir judiciaire était hautement sujette à caution quant à la culpabilité des 13 ressortissants d'origine Alsacienne.
Une telle disposition législative est unique dans les annales de la République : elle se doit de trouver son complément sur le plan judiciaire.
En quoi il faut relever :
La déclaration de culpabilité a été dans le jugement acquise à la majorité de 5 voix contre 2 : il eut suffi une voix d'un juge « militaire » pour inverser le verdict. Ainsi deux « juges militaires » ont-ils pu considérer que les accusés lors des actes qui leur étaient reprochés avaient agi sous les contraintes de « l'état de nécessité » ressortant de l'allégeance militaire.
IV –
Il y a un deuxième fait nouveau à retenir en justification de la révision du verdict du Tribunal Militaire de Bordeaux :
Les poursuites originaires ressortent de l'Acte d'Accusation du Commissaire du Gouvernement en date du 1er Décembre 1952 et il y a lieu de se reporter à la page 11, 4ème alinéa de l'original de cet acte qui spécifie :
… « l'instruction à laquelle il a été procédé a fait apparaître qu'il y avait d'une part des inculpés envers lesquels des charges précises et personnelles pouvaient être retenues et d'autre part des inculpés qui ne pouvaient être poursuivis qu'en vertu de la Loi du 13 Septembre 1948. Il résulte de ce dernier texte, codifiant et complétant l'Ordonnance du 28 Août 1944, relative à la répression des crimes de guerre que les Tribunaux Militaires ont la faculté de considérer comme co-auteurs d'un crime de guerre imputable à l'action collective d'une formation ou d'un groupe appartenant à une organisation déclarée criminelle par le Tribunal Militaire International de Nuremberg à moins qu'ils n'apportent la preuve de leur incorporation forcée et leur non participation au crime tous les individus appartenaient à cette formation (ou à ce groupe) lorsqu'elle a commis le crime qui lui est imputé.... »
La procédure judiciaire devant le Tribunal Militaire de Bordeaux sur ce fondement légal a débuté le 12 janvier 1953 et s’est poursuivie jusqu'au jugement du 13 Février suivant :
Le 30 Janvier 1953 la Loi n°53-32 a abrogé les dispositions de la Loi du 15 Septembre 1948 visée comme fondement des poursuites. Se trouvait donc abrogé le principe même de la présomption de responsabilité collective criminelle à partir de 1'appartenance à un groupement ou à une formation déclarée criminelle par le Tribunal International de Nuremberg. Etant précisé par la nouvelle Loi que ... « en ce qui concerne les procès dont les débats auraient commencé, la division de la procédure aura lieu aussitôt après la clôture de l'instruction publique à 1'audience ».
En l'état cette « division » entraînant la disjonction des poursuites engagées contre les accusés français d'origine Alsacienne s'imposait derechef devant le Tribunal Militaire de Bordeaux en ce que la procédure engagée le 12 Janvier 1953 contre les 13 incorporés de force Alsaciens s'arrêtait et ne pouvait se poursuivre que contre les 7 Allemands et l'engagé volontaire alsacien sur les 65 accusés cités pour le procès.
Le Tribunal Militaire de Bordeaux a délibérément méconnu la Loi en la bafouant : il suffit de relire le verbalisme pseudo-juridico-judiciaire du jugement en ses formulations du 7 Février 1953 pour constater qu'est intervenu ce qui - il faut le dire - a été une affligeante mascarade pour éluder l'application de la Loi Nouvelle, pour persévérer dans la procédure originaire en séparant simplement les 13 Alsaciens incorporés de force des 7 accusés allemands et du volontaire |alsacien dans le prétoire et en alléguant que la poursuite engagée contre les incorporés de force Alsaciens continuait au motif du pouvoir discrétionnaire du Président du Tribunal posant... « de nouvelles questions principales portant sur tous les faits et toutes les circonstances qui fondent et caractérisent ladite accusation » (citation).
C'était la négation de la loi, la violation du principe de la présomption d'innocence que la nouvelle législation introduisait dans le patrimoine juridique de la République qui est restée depuis lors un élément fondamental constitutionnel de la 4eme comme de la 5eme République.
En quoi la révision du jugement du Tribunal Militaire Bordeaux s'impose.
En quoi le requérant soussigné rappelle l'avis de l'actuel Premier Ministre - il est vrai dans un contexte circonstanciel différent - mais ayant une portée de principe :
.... « ma responsabilité, celle de mon Gouvernement est de faire respecter l'état de droit et donc la Loi ».
Que donc en l'espèce il en soit ainsi.
V –
Qu'il me soit permis de formuler des remarques complémentaires, qui, certes, ne sont pas strictement juridiques, mais qui sont circonstancielles du contexte général sociologique et doivent permettre d'illustrer le contexte général de la présente requête :
Défenseur de nos compatriotes j’ai le profond sentiment d'une mission professionnelle inachevée : en m'adressant à Monsieur le Garde des Sceaux de la République, compétent selon la Loi, je voudrais parachever mon mandat. Je le fais aussi dans le souvenir de mes défunts confrères défenseurs de nos trois Barreaux locaux, soit Maître KALB (Colmar), Maître MERIUS (Colmar), Maître MOSER (Mulhouse), Maître SCHRECKENBERG (Strasbourg) avec mention spéciale pour Maître Paul SCHMIDT (Strasbourg) avec lequel, parlant de la même voix, j ' ai formé un bloc inébranlable de rigueur au soutien de nos autres confrères dont chacun a donné le meilleur de soi-même.
120.000 Alsaciens ont été incorporés de force et sous contrainte dans l'Armée Allemande Nationale-Socialiste. 20.000 ont été tués, la plupart entre le Cercle Polaire et la Crimée, souvent laissés sans sépulture : victimes eux d'un crime de guerre, comment pourraient-ils avoir été par cela criminels de guerre eux même ? Pour chacun en Alsace il y a l'obligation de souvenir vis-à-vis d'eux.
Il me faut aussi - impérativement - rappeler l'éminente prise de position de Monseigneur l'Evêque de Strasbourg : en cette fin d'une triste journée de Février 1953 devant la grande détresse générale en Alsace il a convié tous en la Cathédrale ; elle était remplie de milliers de personnes, j'y étais. Notre Evêque a su exalter la foi, exalter l'espérance, exalter la prière pour nos compatriotes victimes de l'injustice des hommes.
C'était vrai, cela reste vrai : l'Alsace n'avait pas, l'Alsace n'a pas besoin de charité ou de pardon, l'Alsace avait, l'Alsace a besoin de justice.
VI –
PAR CES MOTIFS
Et tous autres au besoin à suppléer d'office
Vu les fins et moyens qui précèdent,
Vu les articles 273 et suivants du Code de Justice Militaire et les articles 622 à 626 du Code de Procédure Pénale,
il est conclu :
PLAISE A MONSIEUR LE GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE
ENGAGER dans la forme légale la procédure de révision du jugement du Tribunal Militaire Permanent de Bordeaux en date du 13 Février 1953 ayant condamné à des peines criminelles les nommés BUSCH - ELSÄSSER - GRIENENBERGER - LOHNER - OCHS -PRESTEL - NIESS - GIEDINGER - HOEHLINGER - SPAETH depuis lors décédés.
Le requérant
Avocat Honoraire
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La révision du procès a été refusée au motif que Me Lux n’apportait pas au dossier un élément susceptible de modifier le jugement de 1953.
On peut se demander si le non-lieu obtenu récemment par le Waffen SS Werner Christukat ne serait pas un de ces éléments : pourquoi un Allemand obtiendrait-il un non-lieu alors que 14 Alsaciens ont été condamnés en 53 pour la même affaire ?
D’ailleurs certains d’entre eux, y compris l’engagé volontaire, avaient obtenu un non-lieu avant la fameuse loi Oradour de 1948.
En 53, le général De Gaulle lui-même avait déclaré que le jugement était injuste envers les Alsaciens.
Pourtant la non-rétroactivité des lois est constitutionnelle, mais bafouée régulièrement depuis le procès de Nuremberg.
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