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Duault. L’autre maquis qui fit barrage aux Allemands (5-13 juin 1944)
(par Ferdi Motta)
Dans la nuit du 5 au 6 juin 1944, des paras du Special Air Service sautent sur Duault, dans les Côtes-du-Nord. Ils entrent en contact avec les maquisards en vue d’empêcher les Allemands de rejoindre le nouveau front de Normandie. Mais le 12 juin, l’occupant localise leur base…
La Bretagne est appelée à jouer un rôle important dans le scénario de l’opération Overlord. Les Allemands disposent d’au moins sept divisions identifiées dont il importe de démoraliser et de contrarier les mouvements. Dans la nuit du 5 au 6 juin, deux bombardiers Stirling en provenance de Grande-Bretagne « dropent » quatre équipes de SAS à proximité de Plumelec (56) ainsi qu’aux abords de la forêt de Duault (22).
Pour les Alliés, il s’agit d’organiser les deux bases (celle de Duault est baptisée Samwest) susceptibles d’armer la résistance bretonne. Celle-ci doit à son tour malmener les Allemands pour les empêcher de se porter en renfort sur le front de Normandie. Les deux bases seront attaquées par les Allemands : Duault le 12 juin, Saint-Marcel le 18 juin.
En plus des deux bases qui ont pour mission d’accueillir des patriotes, 18 groupes de 58 SAS constitués en Cooney Parties sont « dropés » dans la nuit du 7 au 8 juin. Chaque cooney a pour tâche la destruction des lignes de chemin de fer.
« Les carottes sont cuites »Par ailleurs, douze équipes de Jedburgh (par référence à la guerre des Boers) sont déposées en divers lieux. En cas d’échec du Débarquement, la radio dira simplement : « Les carottes sont cuites ». SAS, Cooney et Jedburgh seront récupérés sur la côte par des vedettes, notamment grâce au réseau Shelburne.
Jusqu’au dernier moment, ce dispositif reste confidentiel. L’idée même de constituer deux bases facilement repérables par l’occupant ne fait pas non plus l’unanimité dans les rangs des officiers SAS : « Les frisés vont nous ratatiner », dira l’un d’eux, tandis que le lieutenant André Botella qui sautera sur Duault parlera d’« une monumentale erreur ».
Bien que les services de renseignement aient fait leur travail, les SAS ne savent pas grand-chose de la résistance bretonne. Structurée dans le Morbihan, elle est, au contraire, éclatée dans les Côtes-du-Nord. Botella parachuté avec huit SAS, bientôt rejoints par un autre « stick », celui du lieutenant Déplante, va s’en rendre compte.
Tueur d’AllemandsBotella et Déplante ont été accueillis par les FTP communistes du maquis Tito, solidement implanté dans le secteur. Ils revendiquent plusieurs centaines d’hommes.
Les deux officiers restent quelque peu perplexes face à la diversité, voire à la rivalité, des tendances en présence. Georges Ollitrault, résistant hors pair, sémillant jeune homme de 80 ans, se souvient parfaitement des premières heures qui ont suivi le « dropage » des SAS. « Tous les groupes de combat sont sortis de chez eux et ont convergé vers Duault. Vous pensez comme nous étions heureux ».
Sa rencontre avec Botella ne manquera pas davantage d’originalité. Ollitrault ne se défait jamais de la capote allemande qui lui tient lieu de parka et de sac de couchage. Entré dans la Résistance à 16 ans, arrêté trois fois, fier de son identité bretonne, ce diable de garçon s’est spécialisé dans l’élimination des officiers et sous-officiers allemands. « Je ne tuais de simples soldats qu’en état de légitime défense ».
Suspects fusillésAu moment où Botella le rencontre, Ollitrault est accompagné en permanence d’un soldat allemand, Georges Nieman, déserteur de la division parachutiste Kreta. Son père a été tué en 1943 par la Gestapo. Ollitrault met en garde Botella : « Si vous restez là, dans peu de temps, les Allemands seront sur vous ». Les ordres restent cependant les ordres. Dans la nuit du 9 au 10 juin, le capitaine Leblond et 40 SAS sont largués sur Duault.
Avec eux un « squadron leader », Philippe Smith, officier de liaison de la brigade SAS, l’œil de Londres en quelque sorte. Botella, Leblond, Smith réalisent l’unité autour de Duault.
Le lendemain, 50 SAS supplémentaires et quelques Jedburgh sont là. Les parachutages se multiplient. Les armes sont distribuées au profit des maquis les mieux représentés (Tito et Valmy).
Le 11 juin, un ancien milicien, J., est arrêté. Il est porteur d’un plan de la base. A son tour, une commerçante ambulante, qui a travaillé au profit des Allemands à Rennes, est interpellée. Elle dissimule des indications avec le nom des communes voisines. Ils sont tous deux fusillés. Vincent Pinson a 18 ans ce 11 juin.
Le maquis de Duault n’est distant que de quelques centaines de mètres de la ferme familiale. « Les Allemands de leur côté ne pouvaient pas ignorer qu’il y avait quelque chose ».
Il se souvient. « Vers 15 h, deux officiers allemands sont arrivés. Ils voulaient aller à Saint-Servais. On leur a dit d’aller à gauche. Ils sont allés à droite. En réalité, ils sont revenus sur leurs pas. Ils ont tracé une flèche à la craie au pied du calvaire. On l’a effacée ».
Vers 21 h, deux autres gradés surviennent. Ils se dirigent vers la ferme de Kerhamon. Lucien Le Bourhis y habite avec ses parents. Il a huit ans. Selon ses propres souvenirs – les versions diffèrent – les deux officiers ont frappé à la porte de la maison. « A table, il y avait onze maquisards ». Panique de part et d’autre. Les officiers parviennent à fuir. Les évènements, dramatiques, s’enchaînent le 12 juin. Les Allemands reviennent avec des renforts. Quatre parachutistes – qui avaient pourtant ordre de ne pas sortir du camp – et deux partisans sont présents.
Ils ouvrent le feu sur les Allemands. A leur tour, ceux-ci ripostent. Un FFI est tué. Blessé, un autre est achevé. Un parachutiste est arrosé d’essence et jeté vivant dans l’incendie de la ferme de Kerhamon. Sur le terrain, les SAS et les maquisards vont tout d’abord bénéficier de l’effet de surprise. Les fusils-mitrailleurs anglais Bren font des ravages dans les rangs allemands. Ils sont malgré tout plus nombreux. Vers midi, la pression est forte. Les tués et les blessés – dont Botella – sont nombreux.
Scènes horriblesDes scènes horribles ont lieu. Ainsi, un soldat allemand tranche-t-il la gorge d’un parachutiste qu’il garde et se suicide ! Vers 15 h 30, notera le capitaine Leblond, l’ordre est donné de quitter la base. Samwest se vide. Les Allemands font des prisonniers. La place est laissée vacante à 18 h. Quelques blessés ont pu être mis en lieu sûr, à Kerchariou en Peumerit-Quintin. Une partie des SAS dégage vers Saint-Marcel, à 100 km. Le 13 juin, 800 Allemands équipés de lance-flammes reviennent à Duault. Il n’y a plus personne. Six SAS, cinq Tito, six Valmy, 15 civils ont été tués au combat ou massacrés en représailles.
La traque ne va pas s’arrêter là. Des paysans qui ont conservé chez eux des rations de cigarettes provenant des parachutages sont fusillés, cinq fermes incendiées. Selon les estimations, 267 Allemands ont été tués, 43 autres faits prisonniers. De source allemande, on avoua 45 tués et 100 blessés.
Source : Article Le Télégramme, 3 juin 2004.