Carnet de marche Tonkin décembre 1948 (1er RCP)

Le 8 décembre 1948, le 2/1eRCP est engagé dans l'opération Pégase, qui a pour objectif la destruction d'un regroupement de forces rebelles à une centaine de kms au sud-ouest d'Hanoi, dans la plaine du Song Day: c'est le grenier à riz du Tonkin, une immense plaine irriguée où la France a beaucoup investi, et dont il faut impérativement éloigner les viets...


L'implantation vietminh dans cette région du Day est d'autant plus inquiétante que sur la rive ouest du fleuve domestiqué, les calcaires boisés affleurent , procurant une zone de repli aux rebelles, tandis que les villages eux-mêmes sont de vrais pièges: en apparence, un paysage idyllique 


mais en réalité des fortins boisés qui surveillent de  loin toute approche

D'abord  des portes massives et rustiques (ci-dessous la photo récente d' une porte de village avec son banian bucolique, mais qui a perdu sa clôture végétale défensive du temps de guerre)


Ensuite un dédale de ruelles plus ou moins bordées de haies:


Puis c'est l'enclos familial proprement dit, toujours difficile à contrôler:


Pégase s'annonce donc comme une opération cruciale, mais délicate à réaliser.

René Collard et ses collègues sont aux faisceaux, prêts à décoller de Bach Mai, pour être largués au point du jour sur Duc Que en plein dispositif viet ce 8 décembre... malheureusement la mauvaise météo, puis le manque d'avions  font annuler leur largage: ce n'est que le lendemain qu'ils sont convoyés par GMC sur Hadong, à 30 kms au sud d'Hanoi, donc très loin de leur point de départ initial.
Ils entament leur progression sur les diguettes le 10 à l'aube, et sont très vite pris à partie par des tireurs viets bien postés: invisibles, décrochant sans pertes, ils ralentissent la colonne qui n'avance que de 20 kms ce jour-ci...


Le jour suivant, les tirs, les nombreux pièges de diguettes ne leur permettent d'atteindre Kin Dao qu'en soirée: le village est défendu, il faut le prendre d'assaut en profitant de la moindre levée de terre, sans parvenir à détruire ses défenseurs, qui se défilent, en minant derrière eux...
Le 12, l'avance reprend : mines à traction et tirs adverses se multiplient, l'objectif primitif est presque atteint en fin de soirée: les collines  bordant Duc Que sont sévèrement défendues par une ligne de feu qui ne se dévoile qu'à 200 mètres des paras: les viets sont appuyés par une mitrailleuse 12.7; les bérets bleus donnent l'assaut sans parvenir toutefois à capturer l'arme lourde, qui poursuit son harcèlement de loin.
Le lendemain, appuyés par les Spitfires mitraillant l'objectif, les compagnies du bataillon se lancent à l'attaque: le site de Duc Que est aux mains des paras à 13 heures , les viets semblent enfin céder le terrain, mais reviennent en soirée, engageant le feu de très près: l'assaut, bref mais violent, est repoussé de justesse, à la grenade... Cette fois, ils sont venus au contact.
Mortiers français, puis canons de 105 commandés par radio se déchaînent, sans résultat apparent: le lendemain, après un ravitaillement par la CLA de Hanoi, les paras lancent des patrouilles vers le réduit viet de Bac Tuyet ; l'une d'elles se fait durement accrocher et rentre de justesse.

La 7e compagnie reste sur ses positions de Duc Que jusqu'au 19 décembre; depuis le 12, 7 paras ont été tués. Une piste a été aménagée pour les Morane criquet de liaison, capables d'atterrir sur 30 mètres (ce sont les célèbres Fieseler-Storch construits à Puteaux...)


Renforts et munitions arrivent d'Hanoi, si bien que les bérets bleus reprennent leur progression dans un relief difficile de collines pentues et de rizières inondées, où l'ennemi se dérobe. Le 24 décembre, à Trung Hoa, ils sont attaqués en soirée par les viets  redescendus des montagnes. Appuyés par des tirs précis de mortiers, les bo-dois sont déterminés, mais au bout d'une heure, ils doivent renoncer, et la nuit de Noêl passe sans prières dans l'éclatement des obus de mortiers...
Le 25 décembre après un festin improvisé, le feu reprend en soirée: encore une nuit de veille et d'attente, brisée avant l'aube par l'ordre de départ. Les paras progressent le plus vite possible vers les rizières découvertes, échappant aux tirs de retardement,  de diguettes en remblais.
En fin d'après-midi, ils atteignent un village défendu par sa haute végétation, où ils s'installent sans incident.
Ce n'est qu'au matin qu'ils s'aperçoivent que l'ennemi est là, en force, occupant deux hauts mamelons qui émergent de la brume, à 1 km...

En 48 , sur le  " terrain " , cela commençait à devenir difficile pour nous ... Notre " suppématie matérielle " les a contenu encore quelques années ...

Ils y ont laissé beaucoup de morts , et hélas , nous aussi  ...  Le rapport des nombres nous était tres défavorable , et ils pratiquaient l'art du harcellement (accrochage /décrochage ) avec succés la plus part du temps .

Seuls une poignée de commandos genre Vanden arrivaient à les contrer , en agissant avec les mèmes  méthodes...

Donnez moi dix ou cent "Vandens" a t-il dit ...

Nous n'avons pas à rougir de nos défaites , car chacune des leurs les renforçaient , et il faut bien reconnaitre qu'ils sont devenus de redoutables guerriers au fil de ces 9 années ...  Les Américains en savent le prix ...

La marche en avant commence, les positions de départ sont atteintes, une ligne de diguettes; de remblais en levées de terrain , vers midi ils sont à 600 mètres; les viets tirent déjà depuis longtemps à la mitrailleuse, au mortiers de 81,  et mettent en oeuvre un canon de 20 mm, tandis que les paras, tapis derrière d'infimes abris, cassent sommairement la croûte; à 15 h, l'ordre d'assaut est donné: René Collard entraîne ses copains  dans une folle course sous le feu au cri de "mort aux c..s" !
L'assaut est coupé à 300 mètres seulement, derrière une diguette, mais c'est la 8e compagnie qui prend le relais, en débordant sur le côté, grâce à un rach; dans la rizière sèche en feu, ils avancent en chantant de plus en plus fort sous les rafales! Les bo-dois, impressionnés, commencent à ralentir le feu, certains, occupant les positions avancées,  s'enfuient... Collard et ses collègues se relancent à l'assaut, les viets se retirent de justesse, abandonnant morts et blessés graves, 3 FM, une Hotchkiss 8mm, 2 mortiers et une quarantaine d'armes individuelles ...Ils étaient vraiment en nombre, 1 bataillon et une compagnie lourde.
Le soir tombe; en parcourant le site qu'ils viennent de prendre , les paras se rendent compte qu'il s'agit exactement des mêmes collines qu'ils ont enlevées le 12 au soir, mais en sens inverse... Cette fois, le Viet a laissé des plumes, mais n'a toujours pas été anéanti...

Le lendemain matin, les paras chargés de leurs morts et de leurs 28 blessés se replient sur Van Ton, au bord du Day...

Le 1er janvier 1949, à l'aube, la 7e compagnie part en reconnaissance vers les collines boisées qui surplombent le Song Day; elle est durement accrochée par les viets qui les encerclent en profitant d'une reconnaissance de village; après une journée de renforcement de leur nouvelle base de Van Thon, les paras repartent à l'attaque sur Cho Be, le 4, et rentrent après une traque infructueuse le 7 janvier.La pluie tombe sans discontinuer jusqu'au 9; les viets s'enhardissent, approchant le cantonnement. Dans la nuit, un haut-parleur résonne:
"Soldats, nos troupes sont plus nombreuses, vous êtes encerclés, vous ne reverrez plus jamais Hanoi..."
Une salve de mortiers fait taire le propagandiste viet...
Le 10 janvier, nouvelle reconnaissance dans les calcaires truffés de grottes au-dessus du Day: cette fois, le bilan est positif, les paras ramènent des mortiers.

C'est le lendemain que le 2/1 RCP entame son mouvement de retour vers Hanoi .
Comme à l'aller, la piste est truffée de pièges, les hommes ont beau marcher dans les pas du précédent, les mines à traction sont indécelables et alourdissent la liste des pertes. Le Day est franchi en fin de journée au bac de Phu Lu The. Le lendemain les paras reprennent la marche entamée il y a un mois déjà, les muscles sont raides, mais les tirs de harcèlement les arrêtent immédiatement, n'épargnant même pas les évacuations des Moranes sanitaires.
Les viets doivent pourtant céder devant les manoeuvres des sections, qui parviennent à Hung Hoa Phu: le lendemain soir 14 janvier René Collard et ses collègues,  après encore une journée de marche vers Hanoi, embarquent enfin dans les rames de GMC.
C'est la fin de l'opération Pégase, les paras sont amaigris, l'état-major est assez satisfait car les bilans sont là: 778 viets, 24 ateliers clandestins anéantis, 60 mortiers, 5 mitrailleuses lourdes, des centaines d'armes individuelles et collectives, 29000 grenades... mais 27 tués 70 blessés au 2/1 RCP... Sale coup...
En cette fin d'année, on peut avoir une pensée pour René Collard et ses copains, leurs longues marches et leurs peines pour  essayer  d'aider, il y a 65 ans,  le Tonkin à surmonter la misère et la tyrannie communistes...

Bel hommage à nos anciens. C'était l'année de ma naissance... En dehors des milieux militaires plus personne ne parle de l'Indo qui aura pourtant été une page glorieuse de notre histoire.

Nous avons parmi les membres de ce forum, un de ceux qui combattaient là bas, à cette époque, au sein du I/1er RCP.... Il se souvient parfaitement de cette époque.... Un petit souci l'empêche actuellement d'utiliser un clavier...

Hélas, ils ne sont plus tellement nombreux.... Ce fut une guerre lointaine et au mieux, ignorée..... sauf dans les familles concernées....

C'est donc à nous de faire vivre ce "devoir de mémoire" : je m'y emploie bien modestement ...