Il était une fois le béret vert...

Bonjour,



Décembre 1948.A Sétif,il fait froid,le ciel est bas et la nuit tombe tôt sur un paysage d'une tristesse pesante.La majeure partie de la Compagnie du Lieutenant Caillaud,la 1ère Compagnie du 2ème BEP,est partie à Philippeville pour y effectuer ses sauts de brevet.
En partant Caillaud m'a dit: « Toi,tu es déjà breveté,tu garderas la maison. »
Le reste de la Compagnie poursuit son instruction de base en vue d'un départ pour l'Indochine que tous espèrent proche.Cette formation élémentaire est menée par quelques sous-officiers anciens et par de jeunes chefs de section frais émoulus de Coëtquidan,brevetés parachutistes à la sortie de l'école.

Je termine la journée en traitant des paperasses au bureau,de ces « états » dont l'administration est avide.
Machinalement,je feuillette un exemplaire du Journal Officiel qui traine sur la table.C'est,je pense,une des rares fois où,dans ma vie,j'ai parcouru la prose du J.O de la République.
A la rubrique « Armées »,mes yeux tombent par hasard sur un article qui prévoit,pour la Légion étrangère parachutiste,pour l'exercice en tenue de campagne,le port d'un béret vert du [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien].Tout y est:la forme,les dimensions,la couleur,la bordure de cuir noir,la longueur des rubans de serrage,l'emplacement de l'insigne...

J'en suis ravi,le képi n'a pas mes faveurs:coiffure obsolète,incommode,il est de plus intransportable.
Depuis 1944,j'ai toujours porté le béret,d'abord le noir des Chocs puis le bleu des paras-métro.
Cependant ma connaissance de l'efficacité des services de l'Intendance tempère mon enthousiasme naissant:combien de temps faudra-t-il aux services concernés pour fournir cette coiffure aux unités,d'ailleurs elles mêmes en formation?

Peu de temps après ma découverte,le chef de bataillon m'expédie à Paris pour une brève mission d'information.
En passant rue du Faubourg Saint-Honoré,devant la vitrine de la chapellerie Delion,j'y repère trois bérets verts exposés.Je m'en rends aussitôt acquéreur et coiffe immédiatement l'un d'entre eux.
De retour à Sétif,j'offre les deux autres à Caillaud et à Cabiro,mes meilleurs amis,et je rejoins le PC pour rendre compte de ma mission.

Le Capitaine Solnon me regarde d'un oeil torve et me lance,avant tout autre propos:
-Qu'est-ce que c'est que cette coiffure ridicule?
-On voit bien,mon Capitaine,que vous ne lisez pas le Journal Officiel!
Le ton,la réflexion,peut-être les deux,n'ont visiblement pas plu à mon supérieur.
-Enlevez-moi çà,vous allez prendre les arrêts!

Nous étions trois irréductibles porteurs de béret au bataillon.Caillaud,Cabiro anciens du 2ème REI,personnalités reconnues,impressionnaient suffisamment le Chef de Corps pour qu'il se taise.
Contrairement à mes prévisions pessimistes,peu après notre arrivée au Cambodge,en mars ou avril 1949,l'Intendance livra aux unités la nouvelle coiffure.
Le 2ème BEP,y compris le Capitaine Solnon,l'adopta aussitôt.
Au 1er BEP,où le Capitaine Jeanpierre veillait avec sa rigueur proverbiale au respect des traditions légionnaires,il fallut du temps pour que la nouveauté soit acceptée,pour que le béret vert remplace le calot à fesses rouges.

Suivant une définition courante dans ce bataillon,les légionnaires n'étaient pas des parachutistes mais des légionnaires parachutables.
La volonté commune d'originalité qui caractérisait les deux unités vint à bout des réticences.Le képi ne fut pas abandonné pour autant,restant la coiffure de la tenue de sortie et de parade.
Pour les opérations,le climat imposait le port du chapeau de brousse et la puissance de feu croissante de l'adversaire en vint à justifier le port du casque.

En Algérie,Jeanpierre lui-même portait assidûment le béret vert.Héritiers des BEP et des REP,avec le port de cette coiffure particulière,apportaient dans le paysage des TAP,la différence qui les signalait comme l'élite des hommes de guerre.

Après les légionnaires parachutistes d'Indochine,puis d'Algérie,c'est toute la Légion qui adopta le béret vert:il devenait ainsi la caractéristique des meilleurs soldats du monde.
Pour le Lieutenant qui fut par hasard l'initiateur de cette « révolution »,c'est une extrême satisfaction
d'avoir apporté sa petite pierre à l'histoire légionnaire,faisant par la même occasion,mentir le proverbe qui affirme:

Merci, on apprend chaque jour.
Je ne connaissais pas du tout le calot à fesses rouges.

Sujet bien intéressant , merci !