Paras de tous les horizons
Bienvenue sur Paras de tous les Horizons...

Si vous êtes membre du forum, ce message s'affiche car vous avez certainement oublié de cocher connexion automatique.

Si vous avez oublié votre mot de passe, cliquez sur «Récupérer mon mot de passe » sous les cases de connexion.

Un petit rappel :

Seuls les membres présentés, peuvent envoyer des messages...!
https://paras-pth.forumactif.com/f3-presentez-vous

Bonne visite et surtout bonne participation…
Paras de tous les horizons
Bienvenue sur Paras de tous les Horizons...

Si vous êtes membre du forum, ce message s'affiche car vous avez certainement oublié de cocher connexion automatique.

Si vous avez oublié votre mot de passe, cliquez sur «Récupérer mon mot de passe » sous les cases de connexion.

Un petit rappel :

Seuls les membres présentés, peuvent envoyer des messages...!
https://paras-pth.forumactif.com/f3-presentez-vous

Bonne visite et surtout bonne participation…
Paras de tous les horizons

Forum de discussion sur les parachutistes
 
AccueilAccueil  S'enregistrerS'enregistrer  ConnexionConnexion  
 

 De Gaulle et l'Indochine

Aller en bas 
3 participants
AuteurMessage
fabrepasc
Invité
avatar



De Gaulle et l'Indochine Empty
MessageSujet: De Gaulle et l'Indochine   De Gaulle et l'Indochine Icon_minitimeLun 23 Jan 2012 - 16:02

J'ai trouvé ce texte sur le site Charles de Gaulle.org-et j'ai pensé qu'il intéresserait certains d'entre vous-bien entendu,ce n'est qu'un copier coller.

De Gaulle-Leclerc : de Londres à l'Indochine

Paul-Marie de La GORCE

De Gaulle-Leclerc : de Londres à l'Indochine, Espoir n°132, 2002

« Voyant à qui j'avais à faire... » Ainsi, commence la phrase par laquelle le général de Gaulle évoque sa première rencontre avec Philippe de Hauteclocque que le monde de l'Histoire connaîtront bientôt sous le nom de Leclerc. Il s'agissait, ce jour-là, de fixer la mission qui serait donnée au jeune officier qui venait de rallier Londres : « Ce serait l'Équateur », écrit de Gaulle en fin de cette même phrase.

Alors commença l'itinéraire singulier que suivirent les relations entre les deux hommes. Il n'est pas exagéré de dire qu'elles furent exceptionnelles. Tout s'y mêla : une évidente communauté de sentiments quand il s'agissait de la patrie, de l'honneur, de la passion de combattre pour l'une et l'autre, d'une certaine noblesse de comportement, de la place faite au courage pour la vie et pour la mort, mais aussi l'aventure dans laquelle ils étaient tous les deux projetés à tous risques, l'un pour l'avoir engagée le 18 juin 1940, l'autre pour s'y être aussitôt rallié, et le poids écrasant de l'Histoire qui ne laissa d'échappatoire ni à l'un ni à l'autre, dans la lutte contre l'ennemi, dans la résistance aux pressions des Alliés quand l'indépendance de la France était en cause, qui allaient ébranler les empires coloniaux.

Pourtant, de Gaulle et Leclerc n'étaient pas semblables. Leurs personnalités ne se réduisaient pas, c'est le moins qu'on puisse dire, à leurs origines aristocratiques et provinciales. À l'inverse de Leclerc, de Gaulle avait, dans son ascendance, beaucoup plus de légistes que de soldats. L'un était, par héritage et tradition, peut-être aussi par goût, châtelain et chasseur ; l'autre acquit assez tard une maison de campagne pour des raisons de commodité tenant à sa famille et en particulier aux conditions de vie de sa plus jeune fille. L'un, devenu officier après la Première Guerre mondiale, se lança avec passion dans l'aventure marocaine de l'armée française ; l'autre était tout entier absorbé par la perspective de la guerre en Europe et par l'obligation de s'y préparer en procédant à la révolution militaire dont il se fit le champion.

Plus important peut-être fut l'écart qui sépara leur expérience personnelle, au-delà de leur formation initiale, el donc aussi, sans doute, leur manière de voir la société française avant la guerre. Témoins et biographes s'accordent à dire que Leclerc restait alors très proche de son milieu social et familial, de tradition royaliste et de sensibilité conservatrice, marqué par l'influence de l'Action française : saint-cyrien, affecté Outremer, participant aux dernières campagnes du Maroc, professeur à Saint-Cyr, il n'eut jamais aucun contact avec les milieux politiques.

De Gaulle, aussitôt qu'il en eut l'occasion, fréquenta, avec autant de plaisir que d'intérêt, le cercle très représentatif des milieux intellectuels, administratifs et politiques qu'il trouvait chez le colonel Meyer. Il fut, au secrétariat général de la Défense nationale, en contact avec les dirigeants du pays, civils autant que militaires, et fut, dans la mise au point de leurs projets, en particulier ceux d'André Tardieu sur une force militaire internationale, en rapport direct avec certains d'entre eux. Il multiplia ses relations avec la presse pour la diffusion de ses idées sur la « force mécanique ».

Les interlocuteurs ou soutiens qu'il choisit, du socialiste Joseph Paul-Boncour au libéral Paul Reynaud - ce dernier surtout - en passant par le démocrate-chrétien Philippe Serre, étaient exactement ceux que Maurras haïssait et invectivait tous les jours, sa collaboration discrète, mais réelle à l'Aube, sa contribution aux travaux du mouvement « Jeune République » et son adhésion à l'association des Amis de Temps présent, montraient sa sympathie pour la gamme de courants politiques allant des catholiques libéraux à la gauche d'inspiration chrétienne en passant par ceux qu'on appelait alors les « démocrates populaires », c'est-à-dire l'extrême opposé de l'Action française.

Mais il y eut juin 1940. Infiniment plus important que tous les clivages antérieurs et peut-être aussi que tous ceux qui suivirent - un réflexe fondamental d'honneur amena Leclerc à de Gaulle. Ce ressort était si profond qu'il ne fut jamais brisé. Mais les rapports qui s'établirent entre eux, et leur histoire, allaient montrer qu'il existait, au-delà, une certaine communauté intellectuelle entre les deux hommes, une même réaction devant les problèmes, les menaces ou les défis. L'action menée par Leclerc en Afrique équatoriale, à l'automne 1940, en fut une première démonstration. On a tant de fois fait l'histoire des journées « glorieuses » qui entraînèrent le ralliement à la France libre du Cameroun, de l'Oubangui-Chari, du Congo et plus tard du Gabon, qu'il suffit d'en rappeler l'essentiel qui fut l'extraordinaire audace montrée par Leclerc et ses compagnons, son affrontement sans complexe avec les autorités établies, le mépris pour les contingences et les conformismes, la façon de prouver que la hiérarchie des caractères l'emporte sur celle des grades. Il n'est pas illégitime de dire que Leclerc, en cette occasion, illustra à sa façon, fougueuse, brillante, privilégiant l'offensive et la vitesse, quelques-unes des pages que de Gaulle avait naguère consacrées dans Le Fil de l'épie sur le « chef » et sur le « caractère ».


Les heures les plus difficiles de la France libre montrèrent au moins autant que les plus « glorieuses » d'Afrique une profonde identité d'analyse et de réaction entre de Gaulle et Leclerc. Ainsi en fut-il au mois de juin 1942. Les relations de la France libre avec les États-Unis et l'Angleterre passaient alors par une crise aiguë. Délibérément elle avait été laissée de côté par ceux-ci quand ils avaient décidé de procéder à l'occupation de Madagascar - où ils se heurtèrent du reste à une résistance acharnée et prolongée des hommes de Vichy.

À bien des signes, on pouvait prévoir qu'elle allait être mise à l'écart pour toute entreprise concernant l'Afrique du Nord. Il en ressortait clairement que le gouvernement américain préférait trouver des arrangements locaux avec les hiérarques de Vichy, que soutenir sans réserve les Français qui combattaient dans le camp allié.

Pour comble, le gouvernement britannique pria de Gaulle de ne pas quitter l'Angleterre et de ne pas aller en Afrique, ce que celui-ci interpréta évidemment comme une lourde menace sur sa liberté d'action. De Gaulle choisit donc de montrer qu'il ne se prêterait pas à ce jeu et qu'il ne laisserait pas les Alliés ignorer ce qui était l'essentiel de sa démarche : la France libre – et la Résistance intérieure avec elle – n'était autre que la France elle-même et incarnait son maintien dans la guerre aux côtés de ses Alliés.

Tout indique qu'il n'avait aucunement l'intention de mettre fin à son action : les crises précédentes, y compris les plus récentes, avaient montré qu'il ne pouvait être remplacé par l'un de ses compagnons, dont aucun ne l'aurait accepté, ni par une personnalité venue de France dont aucune ne pouvait se substituer à lui, et que les gouvernements anglais et américains n'auraient ni voulu ni pu détruire eux-mêmes l'autorité qu'il exerçait sur la Résistance intérieure.

Résolument, il s'engagea donc dans la crise qui était ouverte. Le 6 juin, il adressa aux quatre grands responsables des territoires de la France libre, le général Catroux, l'amiral d'Argenlieu, le gouverneur Félix Éboué et Leclerc, un message où il leur faisait savoir que Churchill lui interdisait, « sous des prétextes fallacieux » de quitter l'Angleterre, que celle-ci paraissait avoir des « visées propres sur Madagascar » et que les Alliés anglo-saxons semblaient vouloir déclencher d'autres opérations en Afrique en le tenant à l'écart.

Il les avertissait que, dans cette hypothèse, la France libre - dont il se gardait de dire qu'elle cesserait de continuer, avec la Résistance intérieure, sa lutte contre l'ennemi - ne pourrait maintenir, comme si de rien n'était, son alliance avec les pays anglo-saxons, et il leur adressait ses consignes : « Nous rassembler comme nous pourrions dans les territoires que nous aurions libérés. Tenir ces territoires. N'entretenir avec les Anglo-Saxons aucune relation, quoiqu'il puisse nous en coûter. Avertir le peuple français et l'opinion mondiale par tous les moyens en notre pouvoir, et notamment par radio, des raisons de notre attitude. Ce serait, je crois, le moyen suprême à tenter, le cas échéant, pour faire reculer l'impérialisme. Dans tous les cas, ce serait la seule attitude convenable. »

Il leur demandait en conclusion d'en prévenir les représentants anglais et américains dans les territoires qu'ils administraient. Et ce même jour, le 6 juin, de Gaulle reçut Bogolomov, l'ambassadeur soviétique accrédité auprès des gouvernements réfugiés à Londres. Il évoque devant lui les intentions des Américains et Britanniques en Afrique et les décrivit comme « la manifestation directe de l'impérialisme », après quoi il en vint à envisager l'hypothèse extrême où le comportement des gouvernements anglo-saxons l'obligerait à demander au gouvernement soviétique de l'accueillir, avec ses troupes, sur son territoire, reconnaissant, cependant, que « ce serait une ultime démarche ».

La première remarque à faire sur les initiatives qu'il prit alors, est qu'elles étaient délibérément destinées à être connues des Alliés, soit directement s'ils pouvaient déchiffrer ses messages - ce qui était, en partie, le cas, soit par les réactions dont Éboué, Leclerc, Catroux et d'Argenlieu leur feraient part : il s'agissait donc bien d'avertir Londres et Washington qu'on ne pouvait traiter, sans risque, la France libre de quantité négligeable. Une autre remarque s'impose aussi : de Gaulle, en ne parlant pas dans son message du 6 juin, de ses relations avec la Résistance intérieure, se réservait une marge de manoeuvre, d'autant qu'il suggérait au même moment, par son entretien avec Bogolomov, que la France libre pourrait retrouver, d'une autre manière, sa liberté d'action.

Le plus important, enfin, est sans doute que la réaction d'Éboué, Leclerc, Catroux et d'Argenlieu fut catégorique : entre le 7 et le 9 juin, ils avertirent leurs interlocuteurs anglo-saxons que le cas échéant, ils se conformeraient immédiatement aux directives que de Gaulle leur donnerait.

Pour Leclerc, l'occasion venait de s'offrir de prendre la mesure des formidables obstacles auxquels s'opposerait, de toute façon, la restauration de l'indépendance de la France. Dans cette entreprise, il se sentait entièrement solidaire de ce que de Gaulle disait et faisait. Il percevait comme lui les menaces qui pourraient provenir des Alliés de la France, quelles que fussent les sympathies qu'ils méritaient et qu'il éprouvait lui-même, surtout envers l'Angleterre. C'est une expérience qu'il n'oublia pas, ni durant les ultimes tractations qui précédèrent son offensive sur Paris ni, plus tard, quand il s'agit de traiter, hors de toute pression alliée.

Il n'en conservait pas moins ses propres réactions, sa propre sensibilité. Il avait eu l'occasion, un mois plus tôt de les exprimer sans détour, et, celte lois sans liaison avec les autres chefs de la France libre quille à s'opposer au courant dont il pressentait l'importance à Londres. Dans un message adressé à de Gaulle, il s'indigna, sans complexe, de ce qu'il considérait comme le retour aux « discordes » d'avant la guerre, ce qui était, en réalité, une claire allusion à la résurgence des tendances politiques, et plus lard des partis.

Le télégramme qu'il lui envoya le 12 mai 1942 en était révélateur : « Prestige général de Gaulle intact. Il personnifie la résistance à l'ennemi, politique Comité national inquiète grande majorité des Français libres. Il donne l'impression de chercher à réveiller discordes antérieures nuisibles. Tous auraient voulu que ce Comité joue seulement rôle d'adjoint à général de Gaulle. Émission Radio française de Londres et nombreux articles journaux France libre poursuivent ce même but : réveiller discordes antérieures (...) Faire cesser cette situation grave en proclamant souvent que but France libre est d'abord gagner guerre, ensuite faire révolution nationale et non pas rétablir errements responsables de notre défaite (...). Faute de prendre ces mesures, des déboires sont possibles. »

À regarder de près ce qu'on pouvait connaître de l'opinion publique française, dans ses profondeurs, il est permis de trouver ailleurs, dans d'autres milieux que celui de Leclerc, des sentiments très voisins : sans parler des suggestions de Pierre Brossolette qui, quelque temps au moins, proposa une sorte de regroupement général des partis sous l'autorité que de Gaulle continuerait d'exercer dans la France libérée, on retrouverait les mêmes jugements sur la phase terminale de la IIIe République sous la plume du haut fonctionnaire très républicain qu'était Francis-Louis Closon, du démocrate-chrétien François de Menthon, du radical René Cerf-Ferrière ou du socialiste Alban Vistel.

Mais il est vrai que Leclerc s'exprimait là en des termes qui étaient bien ceux d'un homme demeuré méfiant envers certains aspects au moins de la vie politique française d'avant la guerre. Et il le faisait au moment où le général de Gaulle s'attachait à réunir autour de lui des hommes représentatifs de tous les courants politiques français avant de les associer officiellement, plus tard contre l'avis des dirigeants des mouvements de Résistance, à l'organisme central que Jean Moulin fut chargé de constituer : le Conseil national de la Résistance.

L'année 1944-45 représente, sans nul doute, le sommet des relations entre de Gaulle et Leclerc avec leur exceptionnel éclat et leurs servitudes. Peut-être ne furent-ils, à aucun moment, plus proches l'un de l'autre que lors des semaines et des jours qui précédèrent la libération de Paris, quand il fallut réorienter les mouvements prévus par le commandement américain et faire en sorte que la 2e DB entre, la première, à Paris et que de Gaulle lui-même y soit aussitôt. C'est en vain et à tort qu'on a voulu parfois faire un incident sérieux de la réaction qu'eut de Gaulle en voyant la signature du colonel Rol-Tanguy, chef des FFI d'Ile-de-France, au bas de la signature de l'acte de capitulation des troupes allemandes, à côté de celle de Leclerc : il veillait avec une attention passionnée, presque farouche, à ce que rien n'entame l'autorité exclusive du gouvernement au moment où l'Etat devait resurgir sans laisser prise aux pressions du dehors et aux divisions du dedans, mais il comprit parfaitement que Leclerc ait voulu associer symboliquement la Résistance intérieure à l'acte qui consacrait la victoire sur l'ennemi et la libération de Paris, et il le confirma plus tard en faisant Rol-Tanguy Compagnon de la Libération.

Après Paris, ce fut Strasbourg, l'accomplissement du « serment de Koufra ». Aucun chef militaire français n'avait pu rêver d'être un jour, l'un après l'autre, le libérateur de Paris et le libérateur de Strasbourg : Leclerc le fut.

Nul doute que de Gaulle en ait tenu compte dans les décisions qu'il prit ensuite. Il avait toujours pris soin de partager entre ses généraux les charges et les missions, les succès qui en résultaient, les mérites qui leur revenaient. À Koenig, Bir Hakeim. À Juin, l'Italie. À Leclerc, le débarquement en Normandie. À de Lattre de Tassigny celui de Provence. Après Paris et Strasbourg, il choisit d'affecter la 2e DB à des tâches moins éclatantes plutôt que de la laisser en flèche dans les opérations engagées en Allemagne par le corps américain dont elle faisait partie et de l'affecter à des tâches plus limitées, telle que la prise de Royan, apparemment peu conforme à l'emploi d'une division blindée de cette qualité.

De même, laissa-t-il envoyer la 2e division française libre terminer la guerre sur les Alpes après qu'elle eut effectué le parcours inégalé qui l'avait mené de Bir Hakeim au Rhin, en passant par El-Alamein, la Tunisie, l'Italie et la Provence. Mais une ultime récompense fut accordée à Leclerc : le retour en Allemagne, la prise de Berchtesgaden, la montée au Berghof, la résidence de Hitler.

De la guerre à la paix, le passage est difficile pour tout le monde, pour les chefs militaires comme pour les autres. Pour Leclerc, qui avait alors 43 ans et qui était l'officier général le plus populaire en France, aucune affectation n'allait de soi : il n'était par un général de corps d'armée comme un autre, loin de là, et il y avait, en grade et en âge, d'autres généraux normalement destinés à recevoir les plus grands commandements.

Leclerc le sentit bien, et, dès le 13 mai 1945, cinq jours après la fin de la guerre, il en parla à de Gaulle et, le 14 mai, lui écrivit : « Où puis-je vous être le plus utile ? Je crois sincèrement que c'est dans un poste de notre Empire, au Maroc par exemple. Je ne me fais pas d'illusion sur les difficultés et dangers d'un tel emploi. La situation en Afrique du Nord est particulièrement grave. Que les affaires d'Europe empirent et les contrecoups s’y feront immédiatement sentir (...). Je m'intéresse autant sinon plus aux questions d'administration civile qu'aux questions militaires. Notre passage dans la France libre et, en particulier, mes trois mois de gouverneur au Cameroun et mes six mois de haut-commissaire à Brazzaville, m'ont donné le goût de l'Empire et des problèmes qui le concernent ».


Avant que son affectation soit décidée, un épisode passager intervient qui ne traduit probablement que les humeurs ou les intentions d'un moment, qu'on ne retiendra que par la réaction qu'elle suscite chez Leclerc. Un jour, le poste de gouverneur militaire de Paris lui est offert. L'idée en a été agitée probablement dans l'entourage du ministre de la Guerre ou peut-être par celui-ci ; dans un milieu, en tout cas, où l'on ne cessait de redouter des désordres publics dans la capitale, bien qu'ils ne se produisirent jamais, ou peut-être dans l'hypothèse d'une crise politique grave, et l'on comptait, pour y faire face, sur la popularité de Leclerc plutôt que sur celle de Koenig, titulaire du poste et dont on pensait qu'il aurait bientôt un autre emploi.

De Gaulle semble lui en avoir parlé le 18 juillet, mais Leclerc n'en veut pas et s'en explique dans une lettre du 24 juillet dont il n'est pas sûr, du reste, que de Gaulle ne l’ait jamais reçue. Il y exprime ses critiques de la politique apparemment menée par le gouvernement. Il met en cause un excès de centralisation, des lourdeurs bureaucratiques, les freins mis à la volonté de travail des catégories sociales. « C'est là que ma lettre vous paraîtra particulièrement osée, lui écrit-il, je n'ai réellement pas le courage de vous affirmer que je comprenne la politique suivie par certains de vos collaborateurs. » L'épisode n'a pas de suite, de Gaulle lui avait déjà dit : « Vous irez en Indochine parce que c'est le plus difficile ». Il n'y avait pas d'argument capable de toucher davantage Leclerc.

Le 7 juin, il est désigné comme chef du corps expéditionnaire destiné à l'Extrême-Orient. La guerre contre le Japon, à cette date, n'est pas finie et la mission des forces françaises n'est donc pas encore fixée, bien que l'objectif du gouvernement soit évidemment le retour de la France en Indochine. Deux mois plus tard, le vice-amiral d'Argenlieu se voit proposer la responsabilité politique de l'ensemble des pays de l'Indochine française : il l'accepte, le 8 août, à la condition de n'en être pas « gouverneur général » mais haut-commissaire, l'ancien titre symbolisant le régime colonial et le nouveau signifiant qu'il sera en rapport direct avec le chef du gouvernement.

Au moment où les deux hommes, Leclerc et d'Argenlieu, vont prendre leurs fonctions, la question indochinoise a déjà fait l'objet de plusieurs décisions. Le 8 décembre 1943, de Gaulle avait fait lire une première déclaration par René Pleven, alors commissaire aux colonies, devant l'Assemblée consultative provisoire : « La France, y lisait-on, saura se souvenir de l'attitude fière et loyale des peuples indochinois, de la résistance qu'ils ont, à nos côtés, opposée au Japon et au Siam, de la fidélité de leur attachement à la communauté française, à ses peuples qui ont su affirmer à la fois leur sentiment national et leur sens de la communauté française, un statut politique nouveau sera reconnu, où, dans le cadre de l'organisation fédérale, les libertés des divers pays de l'Union seront étendues et consacrées ; où le caractère libéral de ces institutions sera, sans perdre la marque de la civilisation et des traditions indochinoises, accentué ; où les Indochinois, enfin, auront accès à tous les emplois et fonctions de l'État. »

Dans ce texte, la référence au « sentiment national » et au « statut politique » des peuples d'Indochine sonnait comme la promesse d'une véritable émancipation, mais rien ne précisait encore ce que seraient les liens fédéraux entre les divers pays d'Indochine et les liens à maintenir avec la France : la porte était ouverte à des changements fondamentaux, écartant tout retour pur et simple au passé, mais l'incertitude demeurait sur les solutions qu'on apporterait aux problèmes majeurs.

En attendant la fin de la guerre, de Gaulle se préoccupa de faire de la résistance qui s'organisait là-bas un premier champ d'action commun aux Français et aux Indochinois. Dans une directive au général Mordant, désigné pour diriger la résistance sur place, il lui prescrivait, en propres termes, d'associer les peuples indochinois à la lutte que les Français avaient à mener contre l'occupation japonaise : « Je ne conçois pas la résistance comme étant uniquement militaire, lui écrivait-il, je la conçois comme faisant entrer dans le combat et dans la lutte, aussi bien les autorités civiles que les populations française et indochinoise. » Dans cet esprit, René Pleven, encore ministre des colonies pour quelques jours, pria le général Mordant, le 3 septembre 1944, d'envoyer à Paris un représentant qualifié des peuples indochinois, afin de connaître leur état d'esprit et de prévoir ce qu'il faudrait faire d'ici leur libération.

Survient le coup de force du 9 mars 1945 par lequel les Japonais suppriment radicalement toute autorité française en Indochine. Le 11 mars, l'empereur Bao Dai proclame l'indépendance du Vietnam, considérant que l'unité du Tonkin, de l'Annam et de la Cochinchine est acquise. Le 13 ce fut le tour du Cambodge, et le 8 avril celui du Laos.

A Paris, on y vit une raison d'accélérer la rédaction d'un texte nouveau que l'on préparait déjà, et qui devait aller au-delà de celui du 8 décembre 1943. Il fut publié le 24 mars. Il faisait d'abord une large place aux libertés publiques et individuelles. « Les ressortissants de la Fédération indochinoise, y lisait-on, seront citoyens indochinois et citoyens de l'Union française. A ce titre, sans discrimination de race, de religion ou d'origine, et à égalité de mérite, ils auront accès à tous les postes ou emplois fédéraux, en Indochine et dans l'Union (...), la liberté de pensée et de croyance, la liberté de presse, la liberté d'association, la liberté de réunion, et d'une façon générale les libertés démocratiques formeront la base des lois indochinoises. »

Et le régime politique futur des pays d'Indochine s'inscrirait dans un double cadre : au sein d'une Fédération indochinoise, où il n'était ni précisé ni exclu que le Vietnam retrouve son unité, et au sein d'une « Union française ». L'exécutif fédéral serait présidé par le gouverneur général et composé de ministres qu'il nommerait, mais les impôts, les lois, les traités concernant la Fédération indochinoise dépendraient d'une « assemblée élue selon le mode de suffrage le mieux approprié à chacun des pays de la Fédération ». Les liens entre celle-ci et la France dans le cadre de l'Union française n'étaient pas davantage précisés, sinon pour prévoir que la Fédération aurait ses propres forces armées, mais dont pourrait faire partie un personnel provenant de la métropole ou d'autres parties de l'Union française.

Sans doute un gouvernement qui n'était encore que provisoire et dont la légitimité tenait au combat entrepris depuis cinq ans pour restaurer l'indépendance et l'intégrité de la France et de son Empire pouvait-il difficilement aller au-delà, mais il était clair qu'après les événements du 9 mars et l'indépendance proclamée sur place par les trois pays d'Indochine, la déclaration du 24 était pour le moins étriquée. Il est vrai que l'avant-dernier paragraphe de la déclaration précisait que : « le statut de l'Indochine tel qu'il vient d'être examiné sera mis au point après consultation des organes qualifiés de l'Indochine libérée. » : c'était là, apparemment, ouvrir la voie à toutes les adaptations et prendre d'avance pour interlocuteurs ces « organes qualifiés » qui pourraient surgir des évènements eux-mêmes.

C'est donc ce texte qui allait servir de base aux démarches politiques françaises en Indochine, mais aussi de point de départ à leur inévitable évolution. Car, comme on va le voir, les responsables français, depuis de Gaulle lui-même jusqu'aux représentants qu'il avait désignés, d'Argenlieu et Leclerc, allèrent bien au-delà de la déclaration du 24 mars dans les mots qui suivirent. Mais différemment, ni au même rythme ni avec les mêmes conclusions. Il ne saurait être question ici d'en rendre compte après les très nombreux apports des historiens et des témoins, mais seulement d'éclairer les positions respectives prises par de Gaulle et Leclerc, en rappelant le contexte dans lequel elles se situaient.
Revenir en haut Aller en bas
fabrepasc
Invité
avatar



De Gaulle et l'Indochine Empty
MessageSujet: Re: De Gaulle et l'Indochine   De Gaulle et l'Indochine Icon_minitimeLun 23 Jan 2012 - 19:27

Oui, bon ....le site charles de gaulle.org avec les écrits de de la Gorce c'est la brosse à reluire assurée... Very Happy




La nomination de l'amiral d'Argenlieu comme haut-commissaire en Indochine et commandant en chef, et celle de Leclerc comme commandant supérieur des troupes ont été longuement commentées et le plus souvent jugées contradictoires, tant sont vite apparues les oppositions entre le caractère des deux hommes, leurs manières de faire et, à plusieurs reprises, leurs conceptions. On peut dire, en tout cas, que, dans une situation où leurs responsabilités allaient se mêler inévitablement, on aurait à faire à deux fortes personnalités à la fois trop proches et trop différentes.

Pour de Gaulle, un principe devait prévaloir, qu'il a toujours proclamé et appliqué : les armées sont les instruments de la politique et il ne faut pas confondre le commandement des unes et la conduite de l'autre. Il n'a donc fait que respecter ce principe, là comme ailleurs, en chargeant deux hommes de deux missions différentes. Mais, après avoir songé à confier les responsabilités principales à l'ancien gouverneur général de l'Indochine qui était Albert Sarraut et après que celui-ci, retour de déportation, se soit récusé, il a certainement pensé que la gestion politique et la conduite militaire de l'affaire indochinoise seraient inévitablement imbriquées et qu'il y fallait deux hommes proches l'un de l'autre, et proches de lui, de sorte que l'ensemble serait mené avec cohérence.

C'est ce qui l'a orienté vers le choix de l'amiral d'Argenlieu après qu'il ait songé un instant au général Legentilhomme. Mais la nomination de Leclerc avait elle-même une évidente signification. Les opérations en Indochine n'auraient aucun caractère classique et les chefs militaires, même les plus brillants, qui s'étaient complètement impliqués dans la conduite et la réussite des campagnes sur le théâtre européen, y seraient les moins bien préparés. Leclerc était, de tous, le plus jeune et, par-dessus tout, il avait montré une extraordinaire capacité d'adaptation à toutes les missions qu'il avait eu à remplir, du ralliement de l'Afrique équatoriale aux opérations du Tchad, de Libye et de Tunisie, jusqu'aux foudroyantes campagnes de Normandie et d'Alsace. À coup sûr, cette capacité d'adaptation, cette jeunesse d'esprit qui accompagnait chez lui l'art de commander furent les raisons d'un choix qui obligeait pourtant Leclerc à la difficile acceptation d'un rôle de second auprès de l'amiral d'Argenlieu.

Dans une première phase, de Gaulle manifesta avant tout son pragmatisme. Un corps léger d'intervention, sous le commandement du général Blaizol, avait été mis sur pied pour intervenir dans les opérations décidées par les Alliés, mais la capitulation japonaise après le bombardement atomique d'Hiroshima et de Nagasaki obligea à changer de perspective, et seul compta désormais l'envoi de forces françaises en Indochine, qui, après les décisions de la conférence de Postdam, dépendrait d'un accord avec les Britanniques qui allaient occuper la moitié Sud du pays et avec les Chinois qui occuperaient la moitié Nord.
Les directives données par de Gaulle traduisent alors une double préoccupation : d'abord entrer directement en contact avec les forces politiques indochinoises sans accepter aucune intervention, immixtion ou médiation de puissances étrangères ; en même temps, rétablir une présence française, sans délai, mais sans songer à une réoccupation générale du pays : « Il me paraît nécessaire, prescrivait-il le 29 septembre, que le général Leclerc se rende sans délai à Saigon et s'y installe. L'effectif des troupes dont il disposera provisoirement est une considération secondaire en comparaison de la nécessité d'être présent ».

Ce pragmatisme valait aussi pour les démarches politiques à accomplir sur place. De Gaulle écarte l'idée d'une nouvelle déclaration, se substituant à celle du 24 mars. Elle ne pourrait être, écrit-il, qu'interprétée comme une « reculade » et de toute façon, le temps n'est plus, selon lui, à des positions unilatérales, mais aux contacts directs établis sur place avec les forces politiques qui se révéleraient les plus importantes, aux dialogues qu'on pourra conduire avec elles, aux accords qu'il faudrait passer. Ce pragmatisme, les événements l'imposent.

Après la capitulation japonaise, tout s'est précipité en Indochine. Le 18 août, l'empereur Bao Dai a confirmé l'indépendance du Vietnam, proclamée en mars et, simultanément, adressé à de Gaulle un message l'adjurant de reconnaître cette indépendance « seul moyen de sauvegarder les intérêts français et l'influence spirituelle de la France en Indochine ». René Pleven en a envoyé le texte à de Gaulle qui se trouvait alors à Washington en l'accompagnant d'une note très sévère sur la personnalité et le jeu de Bao Dai dont il estimait - comme l'amiral d'Argenlieu -, écrivait-il, qu'il ne faudrait plus « l'employer », mais suggérant de ne pas le laisser « s'enfermer dans des formules sans échappatoire » car il pourrait en résulter un conflit « dangereux pour notre action future ».

Le 26 août, Ho Chi Minh est arrivé à Hanoi à la tête d'un Comité de libération nationale et, le 27, son ministre de l'Intérieur, Vo Guyen Giap est venu voir Jean Sainteny, lui-même arrivé à Hanoi au milieu des pires difficultés, comme représentant de la France au Nord-Vietnam qui, dès lors restera en contact avec le Viet-Minh. Ce même jour, celui-ci forme un Gouvernement provisoire de libération nationale. Le 30 août, il enregistre l'abdication de Bao Dai et en fait son « conseiller politique ». Le 2 septembre, il proclame solennellement la République et l'indépendance du pays.

Sainteny en observe avec circonspection les premières démarches, note que presque tous ses membres sont communistes et s'interroge sur sa solidité. Le 8 septembre, d'Argenlieu, rédige une directive qui est empreinte du même pragmatisme voulu par de Gaulle : « Nous avons (...) à discuter loyalement avec les représentants qualifiés des populations indochinoises pourvu que ce soit dans le calme (...) c'est dans cet esprit que nous avons à entrer en contact avec le parti Viet-Minh, puis avec les autres partis, mais il s'agit de s'informer réciproquement, non de négocier (...), nous ne pouvons pas davantage parler d'indépendance. Nous n'y sommes d'ailleurs pas autorisés par le gouvernement (...), nous devons pratiquer une politique d'émancipation administrative et politique. » C'est ce que veut de Gaulle qui approuve tous les contacts, y compris avec le Viet-Minh, « à condition qu'ils soient directs » mais ne veut prendre aucun engagement tant que Leclerc ne se sera pas établi sur place avec ses propres forces.

En réalité, il est allé, dès cette date, bien au-delà de ce qu'envisageait la déclaration du 24 mars. Et s'il veut que ses représentants demeurent prudents dans leurs contacts avec les forces politiques indochinoises, et en particulier vietnamiennes, c'est qu'il envisage une option, qu'il veut encore garder secrète, mais qui trancherait une fois pour toutes l'avenir des relations entre la France et le Vietnam.

De ce « dessein secret », comme il l'écrit dans ses Mémoires de guerre, il fit part, le 26 mars 1945, au capitaine de Boissieu qui avait appartenu à Londres à son état-major particulier et qui, la veille, avait été prévenu qu'il était affecté au cabinet du chef du gouvernement alors qu'il servait dans la division Leclerc.

De Gaulle lui expliqua qu'après le coup de force japonais du 9 mars et maintenant que l'empereur Bao Dai s'était compromis avec le Japon en acceptant d'en recevoir l'indépendance de son pays, il faudrait qu'un changement de régime intervienne au Vietnam dès qu'il serait libéré. Ce serait, au moins « dans un premier temps », la monarchie, mais Bao Dai ne pourrait plus en être le titulaire. Il songeait donc à faire appel au prince Vinh San. Boissieu devait le prendre en charge et informer de Gaulle de ce qu'il pensait et croyait pouvoir faire.

S'il était chargé de cette mission, c'est qu'il avait déjà rencontré le prince quand il accompagnait à Madagascar le général Legentilhomme, haut-commissaire de France en océan Indien. C'était le fils du roi Phan Taï auquel il avait succédé en 1907, sous le nom de Duy Tan, mais en 1917, à moins de dix-sept ans, il avait pris la tête d'une tentative d'insurrection lancée par de petits groupes nationalistes. Les autorités françaises l'avaient déposé et exilé à La Réunion. Spécialiste des transmissions par radio, il avait pris contact avec la France libre et servi d'agent de renseignements, communiquant en particulier un état précis des éléments réunionnais favorables à la Résistance. Son dossier le décrivait comme « gaulliste » puis comme « franc-maçon » et suspect de professer des opinions de gauche.

Il fallut un passage à La Réunion du commissaire aux Colonies, Pleven, pour que son engagement dans les transmissions soit accepté. Legentilhomme, jugeant inadmissible qu'un prince de ce rang serve dans ces conditions, fit demander à de Gaulle, par Boissieu, qu'il soit muté en Angleterre et y reçoive une formation d'officier. Mais la Sécurité militaire y fit obstacle. Puis de Gaulle décida de le faire venir en France pour sonder son caractère et son état d'esprit, chargeant Boissieu « de lui faire sentir ce qu'est la France de 1945 » et de le faire participer « comme il l'a demandé, aux derniers combats pour la France. », mais la farouche opposition des services du ministère des Colonies empêcha le prince d'arriver avant l'armistice.

De Gaulle le fit alors promouvoir au grade de commandant en septembre. Duy Tan, s'attendant à partir pour l'Indochine avec le corps expéditionnaire français, avait rédigé un testament politique qu'il voulut faire publier dans la presse après avoir consulté Boissieu qui lui-même l'avait communiqué à Gaston Palewski, directeur de cabinet du chef du gouvernement. Paru dans Combat, ce texte demandait sans ambages l'unification des Trois Ky, l'indépendance du pays moyennant les délais qui paraîtraient nécessaires et des liens organiques entre le Vietnam, le Cambodge et le Laos. Avant sa publication, Boissieu l'avait présenté à de Gaulle qui n'avait pas élevé d'objection, et, s'étant entendu dire de vifs éloges du prince, avait décidé de le recevoir.

Les deux hommes se virent le 4 décembre. Ils s'entendirent sur ce qu'il y avait à faire dans l'immédiat : Duy Tan reviendrait sur le trône dès que la France aurait repris pied en Indochine et quand les lignes générales d'un règlement politique seraient arrêtées, de Gaulle viendrait sur place le conclure solennellement. Duy Tan, en tout cas, n'avait caché ni sa volonté de réunifier son pays ni sa conviction qu'il devait être indépendant à bref délai.

Après d'autres entretiens entre lui et les interlocuteurs désignés par de Gaulle, il écrivit alors à son ami et conseiller personnel M. Thébault, directeur du cabinet du gouverneur de La Réunion : « C'est fait, c'est décidé, le gouvernement français me replace sur le trône d'Annam. De Gaulle m'y accompagnera lorsque je retournerai là-bas. Quand ? De Gaulle envisage les premiers jours de mars. D'ici là, on va préparer l'opinion tant française qu'indochinoise et internationale. En outre, il faut mettre sur pied une série d'accords à passer entre les deux gouvernements. Demain, à Huê, à Hanoi, à Saigon, deux drapeaux flotteront côte à côte : celui de la France avec ses trois couleurs et celui du Vietnam avec ses trois barres symbolisant les Trois Ky. » La résolution du Prince, en tout cas, était prise, comme était forte aussi sa certitude que de Gaulle lui donnerait satisfaction tant pour son retour sur le trône que pour l'unité de son pays que couronnerait son indépendance.

Le 24 décembre, l'avion qu'il avait pris, pour un bref séjour à La Réunion explosa avant d'atterrir à Bangui. Palewski l'apprit à de Gaulle. « Vraiment, dit celui-ci, la France n'a pas de chance. »

Mais au moment où ils s'apprêtent à prendre leurs fonctions en Indochine, d'Argenlieu et Leclerc ne sont pas informés du projet que de Gaulle, secrètement, mais tenacement, poursuivait et qui aurait évidemment conduit à l'indépendance et à l'unité du Vietnam. Durant les quatre mois qu'ils avaient encore à œuvrer sous sa direction, avant qu'il ne démissionne le 20 janvier 1946, ils durent se débattre dans une Indochine où bien des données politiques et sociales leur étaient obscures ou inconnues, avec pour tâche impérative d'y établir fermement les forces, même limitées, mises à leur disposition.

On n'oubliera pas que le retour français en Indochine ne fut accompli que par quelques hommes, ni leur courage, leur audace, leur ingéniosité, leur habileté. Car tout s'y opposait : la politique américaine, les manoeuvres de la Chine au Tonkin, la disparition totale des autorités civiles et militaires françaises depuis le 9 mars, le discrédit profond de ceux qui avaient représenté la France auparavant et qui, aux yeux des populations, s'étaient fait l'auxiliaire de l'occupation japonaise.

L'une des premières missions que devaient remplir d'Argenlieu et Leclerc était d'ailleurs l'épuration des cadres coloniaux, dont on estimait qu'ils étaient les moins capables de représenter la France d'après la libération, et de reconquérir l'estime des peuples indochinois. Non sans raison comme plusieurs épisodes le prouvèrent. Déjà, le 23 septembre 1945, le général britannique Gracey, ayant fait libérer par les Japonais des éléments civils et militaires à Saigon, quelques-uns de ceux-ci se livrèrent à des exactions contre la population vietnamienne, au point qu'ils furent aussitôt réintégrés dans leur casernement et désarmés, ce qui provoqua, le lendemain, le massacre des Français de la cité Heyraud. Plus tard d'anciens administrateurs demandèrent, après le retour des troupes françaises au Tonkin, de rétablir de nombreux postes civils dans la région, ce que Leclerc refusa : on imagine ce qu'il en serait advenu quand le Viet-Minh déclencha son offensive contre toutes les positions françaises au Tonkin en décembre 1946.

Dans la tourmente où Leclerc et d'Argenlieu devaient agir, alors que rien n'était acquis, dans aucun domaine, leur comportement n'a répondu à aucune idée préconçue, ni même aux jugements sommaires qui lurent souvent portés par la suite. Dans ses premières directives au Groupement mobile de la 2e DB que commande Massu, et à la 9e D1C du général Valluy, Leclerc déclare : « Vous n'allez plus vous battre en pays hostile contre l'ennemi séculaire de la France. (...) Vous apprendrez à connaître les Annamites et vous vous attacherez à eux. Mais il s'agit aussi de rétablir la présence militaire française en Cochinchine et on se heurte déjà, sur place, à la résistance armée de l'organisation Viêt Minh. Les directives de Leclerc sont alors résolument offensives : « Aérez-vous. Circulez. Saisissez toutes les occasions pour casser l'organisation Viêt Minh. Rassurez les paysans. Qu'ils reprennent le chemin du marché de Saigon. Contraignez les rebelles à disparaître (...) et n'oubliez jamais : les villages où vous pénétrez sont des villages français ».

À cette date, le 26 octobre, c'est Leclerc qui paraît donner toute la priorité à l'action militaire et d'Argenlieu qui privilégie à l'avance l'action politique. Ce dernier écrit à de Gaulle : « Leclerc est déjà tout acquis au rêve d'une reconquête. C'est plus fort que lui. J'estime que ce rêve est à écarter. Nous ne sommes pas venus ici pour glaner de nouveaux lauriers à la faveur de durs combats contre l'ennemi. » Le malentendu entre les deux hommes surgit et se creuse.

D'autant que Leclerc voudrait que d'Argenlieu ne vienne que « le jour où la Cochinchine, le Cambodge et la région de Dalat seraient pacifiés », tandis que d'Argenlieu veut arriver - et arrive en effet - le 31 octobre.

Mais ce qui est en jeu et sera bientôt le point central des discussions entre dirigeants français, surtout après que la mort de Duy Tan ait rendu inévitable le recours à d'autres options, c'est la question centrale du dialogue avec le Viêt Minh. Elle avait été envisagée quand la fin de la guerre contre le Japon n'était pas encore en vue et avait fait l'objet, le 12 juin, d'une directive signée du ministre des Colonies, Paul Giaccobi qui ne l'a évidemment rédigée que suivant les instructions données par de Gaulle : « Vous pouvez (...) faire entendre que la déclaration du gouvernement (du 24 mars) est un point de départ et correspond plutôt aux besoins de la période transitoire qui suivra la libération, qu'à la destinée définitive de l'Indochine (...). C'est dans ces conditions que vous pouvez entreprendre des pourparlers avec les partis politiques (...) je ne vois pas d'inconvénient à ce que vous entriez en relation avec le parti communiste, mais je vous prie de ne prendre vis-à-vis d'eux que des engagements extrêmement limités en m'en référant immédiatement. »

Mais après la capitulation japonaise, c'est le Viet-Minh - dont le gouvernement français savait très bien qu'il émanait des communistes vietnamiens - qui chercha d'abord le contact. Dès le 10 août, il fit parvenir des propositions apparemment très modérées puisqu'elles prévoyaient qu'un gouverneur général français nommerait des ministres acceptables par un parlement vietnamien jusqu'à ce que l'indépendance « soit donnée à ce pays dans un minimum de cinq ans et un maximum de dix ».

La réponse française, le 15 août, spécifiait que les discussions avec le Viet-Minh ne feraient que préluder « à une consultation plus vaste de tous les partis indochinois » et que l'on irait, à terme, à une constitution qui préciserait « la forme d'indépendance la plus propre à satisfaire les aspirations des peuples de l'Indochine dans le cadre de l'Union française. » On voit qu'à cette date, comme déjà dans la note du 15 juin, on s'est en grande partie affranchi de la déclaration du 24 mars, mais tout en réservant le problème de l'articulation entre chaque État d'Indochine, la Fédération indochinoise et l'Union française. C'est autour de ce point central que vont évoluer les positions françaises, alors que la marche des événements s'est brusquement accélérée avec la proclamation de la République par Ho Chi Minh, le 2 septembre, à Hanoi.

Durant les semaines suivantes, la réalité vietnamienne, telle qu'elle apparaît à mesure que l'on reprend contact avec le pays, s'impose inégalement aux responsables français. Pierre Messmer, parachuté au Tonkin le 22 août pour y être commissaire de la République, capturé par le Viêt Minh, évadé, rejoint Hanoi le 24 octobre et dans les premiers jours de novembre est reçu par d'Argenlieu puis par Leclerc. À tous deux, il rend compte de l'emprise exclusive que le Viêt Minh exerce désormais sur tout le nord du pays et de l'adhésion entière de la population à son indépendance. Mais l'un lui répond en affichant sa volonté de réaliser une Fédération indochinoise dont un gouverneur général sera président et l'autre lui déclare qu'il faut rechercher un accord avec Ho Chi Minh et que l'on trouvera une autre base de négociations que la déclaration du 24 mars.

Rien n'est simple, pourtant, dans la conduite effective des démarches politiques et des opérations militaires. De Paris, le gouvernement prescrit à d'Argenlieu, le 9 octobre, de négocier avec le Viêt Minh à Saigon, ne serait-ce que pour y discerner les éléments capables d'être de véritables interlocuteurs, tandis que Leclerc, le 13 octobre, écrit à de Gaulle qu'il est impossible « de négocier d'une manière généreuse avec les représentants du Viêt Minh avant d'avoir montré notre force » et que seulement alors « nous pourrons accorder tous les avantages que vous estimerez légitimes ». Et d'Argenlieu, le 25 octobre encore, demande à Leclerc « d'éviter de compromettre l'avenir par des effusions de sang entre Français et Annamites ».


Mais au nord du 16e parallèle, c'est l'armée chinoise dont il faut obtenir le départ, ce qui exclut une confrontation avec le Viêt Minh, qui servirait de prétexte à la Chine pour faire obstacle au retour des Français. Une double négociation s'engage donc, à Tchoug King avec le gouvernement chinois, à Hanoi avec le Viêt Minh. La première aboutit le 28 février, mais n'empêchera pas un bref et violent incident au moment du débarquement français à Haïphong, le 6 mars. Dans l'intervalle, une initiative chinoise a failli changer les données du problème. Le 26 janvier, un représentant du gouvernement chinois a exposé à deux des collaborateurs d'Argenlieu, Achille Clarac et Léon Pignon, que la Chine ne souhaitait pas avoir à ses portes un gouvernement vietnamien communiste, qu'elle pouvait mettre en place à Hanoi un gouvernement nationaliste avec les partis prochinois, que celui-ci conclurait un accord avec la France et qu'ensemble ils élimineraient le Viêt Minh. D'Argenlieu, en rejetant ce projet qu'il juge « inacceptable », contribue, en pratique à ouvrir la voie à un accord direct entre la France et le Viêt Minh.

Sur le fond du problème, il avait lui-même évolué sensiblement durant les dernières semaines de 1945. Sortant à son tour du cadre de la déclaration du 24 mars, il avait fait savoir à Paris par Paul Mus, le meilleur expert français de l'Indochine qui faisait partie de son équipe, qu'il fallait accepter l'expression « self gouvernement » ou même le mot « indépendance », si une limite était apportée à sa signification, puis, en janvier, il y envoya son directeur de cabinet demander l'autorisation d'employer, dans les négociations avec le Viet-Minh, le mot « indépendance ».

Mais, à cette date, l'Histoire, pour le tournant décisif. Dans les premiers jours de janvier, de Gaulle, constatant que les principaux partis n'envisagent, pour les futures institutions, qu'un système où l'existence et la politique des gouvernements dépendront seulement de leurs accords ou de leurs désaccords, juge préférable de quitter le pouvoir. Dans les télégrammes qu'il envoie le même jour à d'Argenlieu et Leclerc il leur prescrit de poursuivre leur mission. Mais la mort tragique du prince Duy Tan a mis un terme à l'option à laquelle de Gaulle avait pensé. Seule, alors, paraît ouverte la voie aux négociations et, si possible, à un accord avec le Viêt Minh.

Cet accord est tenacement recherché par Jean Sainteny qui en était partisan depuis l'origine. D'Argenlieu lui en fixe les limites avant de partir le 12 février pour Paris, où le gouvernement de Félix Gouin avec le socialiste Marius Moutet au ministre Gaulle. Leclerc assume donc son intérim. L’expérience acquise en Cochinchine où, malgré ses propres déclarations régulièrement optimistes, la guérilla se poursuit, a achevé de le convaincre qu'il était impossible d'obtenir en Indochine une solution exclusivement militaire, et il est certain, désormais, qu'il n'y a pas d'autre interlocuteur possible, à Hanoi, que le Viêt Minh. Mais il sait aussi qu'il faut, du côté français, accepter de prononcer le mot « indépendance », comme Sainteny le lui a démontré et qu'on doit aboutir, autant que possible, avant le 6 mars, la remontée des fleuves du Tonkin n'étant plus possible au-delà.

Le 14 février, Leclerc télégraphie donc à Paris : « Derniers renseignements Hanoi confirment Annamites de plus en plus près soit céder si reçoivent satisfaction mot indépendance, soit se rejeter dans guerre du type résistance française qui peut durer plusieurs années (...) J'estime que c'est exactement maintenant avant le débarquement au Tonkin le moment opportun pour déclaration gouvernementale précise et renfermant le mot indépendance ». Ce télégramme arrive à Paris le 18 février.

Mais un autre le suit qui rend compte d'une conversation entre Jean Sainteny et Ho Chi Minh, le 16, où ce dernier, pour la première fois, accepte que le mot indépendance soit remplacé par l'expression de « self gouvernement » et que la référence à une Fédération indochinoise soit incluse dans l'accord. Aussitôt connues à Paris, ces propositions sont acceptées par le gouvernement au cours d'une séance restreinte à laquelle d'Argenlieu prend part et celui-ci le fait savoir à Saigon en précisant que la France devra représenter le Vietnam à l'étranger et que la Cochinchine devra s'exprimer sur son rattachement au Vietnam, moyennant quoi il donne son accord pour le déclenchement du « programme H », c'est-à-dire du débarquement au Tonkin.

Dans la conclusion de l'accord du 6 mars avec le Viêt Minh, le rôle de Leclerc a été décisif. Il a pesé de tout son poids pour on s'engagerait dans une guerre sans fin. Il a soutenu sans réserve les efforts de Jean Sainteny et a impulsé ceux que le général Salan a fait pour mettre au point les conclusions militaires d'un accord. Seul à la tête de l'Indochine à partir du 12 février, il a fait ce qu'il fallait pour que l'on aboutisse avant l'échéance du 6 mars. Il a, par-dessus tout, opté sans ambages pour que, s'il le fallait, le mot « indépendance » soit accepté par la France. Sur ce point, il a été, presque jusqu'au bout, en désaccord avec d'Argenlieu. Sans doute celui-ci, comme on l'a vu, s'est-il rallié à la nécessité de prononcer le mot « indépendance » : mais il reste, pour lui, qu'un accord avec les Vietnamiens doit prévoir leur intégration dans une Fédération indochinoise et des liens entre celle-ci et l'Union française : après que de Gaulle ait démissionné, il allait s'y accrocher, désormais rempli de méfiance envers la détermination réelle des gouvernements français.

L'essentiel des accords du 6 mars tenait en son premier paragraphe : « Le gouvernement français reconnaît la République du Vietnam comme un État libre ayant son gouvernement, son parlement, son armée et ses finances, faisant partie de la Fédération indochinoise et de l'Union française. En ce qui concerne la réunion des Trois Ky, le gouvernement français s'engage à entériner les décisions prises par les populations consultées par référendum » et des négociations auraient lieu sur « les relations diplomatiques du Vietnam avec les États étrangers, le statut futur de l'Indochine, les intérêts économiques et culturels français au Vietnam. ».

De toute évidence, on comptait, du côté vietnamien, sur la force du fait accompli que serait l'existence d'un gouvernement, d'un parlement et d'une armée pour en venir à une réelle indépendance. Du côté français, on pouvait escompter - du moins pour ceux qui croyaient y trouver l'intérêt de la France - que l'indépendance du Vietnam serait limitée par ses liens avec les autres États d'Indochine et par le niveau de ses principales de l'accord annexe concernant la présence des troupes françaises sur place prévoyait qu'elles « seraient relevées par cinquièmes, chaque année, par l'armée vietnamienne, cette relève étant donc effectivement réalisée dans un délai de cinq ans. ».

Le départ définitif de l'armée française à terre au bout de cinq ans souleva l'opposition de plusieurs membres du gouvernement français et inspira les plus grandes craintes à d'Argenlieu. Mais il n'était pas possible de revenir sur l'annexe de l'accord du 6 mars, à moins de ruiner celui-ci tout entier. D'Argenlieu en était si conscient qu'il en prit la responsabilité et lui donna toute sa signification par une déclaration publique qui en soulignait les avantages.

À partir de là, tout fut prétexte entre Leclerc et d'Argenlieu, à querelles, rumeurs et incidents. Le choix de Paris comme siège des futures négociations est le sujet d'âpres affrontements entre Leclerc et d'Argenlieu, l'un voulant donner sur ce point satisfaction à Ho Chi Minh, l'autre s'y refusant, avant qu'un compromis intervienne, prévoyant des rencontres préliminaires en Indochine et la suite en métropole.

Le 24 mars, d'Argenlieu reçoit officiellement Ho Chi Minh en baie d'Along sur le croiseur Émile Bertin. Ostensiblement il fait en sorte que Leclerc ne soit pas présent à son entretien avec le dirigeant vietnamien, celui-ci en éprouva, assez légitimement, un très profond ressentiment qu'il exprima sans nuances devant l'amiral et, dans une lettre au général Juin, il mit en cause son manque de « probité intellectuelle ». Tous les incidents qui se produisaient sur place servaient d'occasion à de nouvelles divergences, l'un des plus durs survenant à Haiphong, le 28 avril, où le comportement du colonel Dèbes, particulièrement rigoureux, laissait prévoir ce qu'il serait à nouveau au moment des incidents meurtriers du mois de décembre suivant.

Le 14 avril de passage à Calcutta, Leclerc apprit du général Juin, qui se rendait en Chine, que d'Argenlieu avait adressé au gouvernement français une lettre demandant officiellement le rappel de Leclerc et de Salan. Il n'en fit pas état publiquement, mais le 29 avril, demanda à être relevé de son commandement. Il en rendit compte le 22 mai à d'Argenlieu et, le 19 juillet, il quitta l'Indochine.

En quelques mois à peine, tout se délita. D'Argenlieu trouvait de nouvelles occasions de porter sur le Viet-Minh un jugement sans cesse plus sévère. Les prémices de la guerre froide, déjà perceptibles, y contribuaient. Sur ce point, en tout cas, il était approuvé et soutenu par le ministre de la France d'Outremer, Marius Moutet, qui éprouvait envers le Viet-Minh une méfiance insurmontable. Pour préserver les chances de voir la Cochinchine échapper à un Vietnam unifié et gouverné par le Viet-Minh, on forma à Saigon un nouveau gouvernement. Puis une conférence préliminaire des États d'Indochine fut organisée sans la présence du gouvernement vietnamien de Hanoi. Après quoi, la conférence de Fontainebleau, prévue comme décisive, buta sur la question cruciale de l'unité des Trois Ky dont l'accord du 6 mars avait prévu qu'elle serait tranchée par un référendum en Cochinchine.

Leclerc, absorbé par ses nouvelles tâches d'inspecteur des armées en Afrique du Nord, demeurait assez attentif à l'affaire d'Indochine pour discerner les risques d'une nouvelle crise. Le 5 décembre 1946, il se décida à rédiger une note de trois pages qui était une mise en garde contre les dérapages intervenus durant les mois précédents. Le passage le plus significatif en est celui où il demande que soit reconnue la nécessité d'un accord avec Ho Chi Minh qu'il représente comme « champion de l'indépendance et grand patriote » et réclame que l'on cherche « à faire coïncider les intérêts de la France avec ceux du Vietnam ».

La crise survient à Haiphong, le 20 novembre. À propos de l'établissement d'un contrôle douanier par les autorités françaises, la Marine française ouvre le feu. Les combats se poursuivent jusqu'au début de décembre quand les troupes du colonel Dèbes occupent la ville. Le 19, à 20 heures, les unités vietnamiennes attaquent les positions françaises à Hanoi que le gouvernement vietnamien évacue et les hostilités reprennent partout. Le 22 décembre à 18 heures, Léon Blum reçoit Leclerc et le charge d'une mission d'inspection en Indochine qu'il accepte aussitôt.

Son séjour en Indochine sera essentiellement consacré à l'examen de la situation militaire et aux conditions d'un rétablissement des forces françaises face au Viet-Minh. Délibérément, il refuse de traiter les responsabilités françaises dans la crise et d'envisager sa solution politique. La conclusion qu'il tire de sa mission peut se résumer très simplement : un effort militaire important doit être consenti par la France, mais il ne pourra suffire par lui-même et n'a de sens qu'en fonction des choix politiques faits par le gouvernement. « En 1947, écrit-il dans son rapport au gouvernement, la France ne jugulera plus par les armes un groupement de 24 millions d'habitants qui prend corps et dans lequel existe une idée xénophobe et peut-être nationale » mais il ne faut pas pour autant « laisser s'affaiblir le corps expéditionnaire, ce qui équivaudrait à un abandon. » Nul doute, cependant, que le récit des événements par les chefs militaires sur place, en particulier les analyses du général Valluy, qui commandait les forces engagées dans la crise de Haiphong en novembre et dans l'ensemble du Nord-Vietnam, aient influé sur le jugement que Leclerc portait sur les acteurs politiques de l'affaire indochinoise.

Le 12 janvier 1947, Léon Blum propose à Leclerc de repartir en Indochine comme commandant en chef, puis de remplacer ensuite d'Argenlieu. Leclerc refuse, mais demande 48 heures de réflexion. C'était, au moins en partie, pour consulter de Gaulle. Celui-ci traversait depuis un an une phase difficile et douloureuse de sa vie, où il éprouvait une profonde amertume devant le cours des événements et professait une extrême sévérité à l'égard de tous les hommes et de tous les groupes qui se partageaient alors le pouvoir, comme en témoigne le journal tenu par son aide de camp, le commandant Guy.

Ce pessimisme portait aussi, naturellement, sur la conduite des affaires en Indochine comme il l'avait déjà dit à Leclerc, lorsque celui-ci, sur le trajet de Strasbourg à Paris, s'était arrêté à Colombey l'été précédent, puis en novembre quand fut commémorée la libération de l'Alsace. À l'officier de liaison envoyé par Leclerc, le 13 janvier, il affirma que Leclerc devait refuser l'offre de Léon Blum, insistant sur ce qu'il y aurait de choquant à le voir remplacer d'Argenlieu comme Pétain, en 1925, avait accepté de remplacer Lyautey que le gouvernement d'alors voulait renvoyer du Maroc.

Mais ce même jour, il écrivit une lettre à Leclerc où il envisageait explicitement un changement ultérieur de politique et le rôle que Leclerc lui-même pourrait y jouer le moment venu : « Au total, lui écrivait-il, voici, suivant ma conviction, en quoi consiste l'intérêt national. Dire au gouvernement que la France ne peut et ne doit pas rappeler, c'est-à-dire désavouer, actuellement, d'Argenlieu. Il faut, au contraire, le soutenir et le renforcer. Plus tard, quand les renforts seront arrivés et mis en place, quand il s'agira, sur la base de cette situation nouvelle et bien établie, de faire une nouvelle politique, alors le problème se posera tout autrement, spécialement pour le général Leclerc. » Le lendemain, 14 janvier, Leclerc écrivit à Blum pour maintenir son refus.

Le 27 janvier, Paul Ramadier, nouveau chef du gouvernement, convoque à son tour Leclerc. Le lendemain il lui fait demander de repartir en Indochine à litre de haut-commissaire. « Pour tranquilliser ma conscience », écrit Leclerc, il fait préparer par deux officiers de son état-major, les colonels Crepin et Vezinet, les conditions à exiger du gouvernement pour son départ. La première de toutes serait d'obtenir une déclaration gouvernementale « précisant les buts poursuivis par la France en Indochine ». Ceux-ci devraient être « de réaliser dès que possible avec les représentants qualifiés du peuple annamite des accords donnant satisfaction à ses légitimes aspirations dans le cadre de l'Union française (...) sur les bases de l'indépendance du pays avec sauvegarde des intérêts français et avec présence des forces françaises dans (des) bases stratégiques. Un soutien massif et immédiat devrait renforcer le gouvernement de Cochinchine, mais être « assez nuancé » pour permettre de ne pas fermer la porte à des négociations avec le Viet-Minh. »

Le ministre Marius Moutet n'était pas, écrit Leclerc, « emballé » par l'idée de son retour en Indochine, révélant par là, semble-t-il, qu'il le jugeait trop facilement conciliant envers le Viet-Minh. Le président de la République Vincent Auriol et le président du Conseil Ramadier approuvent en principe les conditions demandées par Leclerc. Mais celui-ci est allé voir de Gaulle, l'entretien est d'abord très orageux, de Gaulle étant surtout indigné de voir traiter d'Argenlieu en bouc émissaire. Il énumère les conditions que Leclerc devrait poser à son départ et celui-ci riposte que ce sont celles qu'il a déjà présentées. Après quoi, le calme étant revenu, de Gaulle assure Leclerc qu'il n'arrivera pas à obtenir la définition d'objectifs politiques clairs de la part des gouvernements.

En définitive, et contrairement à la version la plus répandue, de Gaulle ne dit pas à Leclerc de refuser l'offre de Ramadier. Le texte rédigé ou dicté par Leclerc est exactement celui-ci : « Je lui demande : oui ou non, faut-il refuser ? Il me dit : non, mais il faut poser des conditions ».

Le 13 février, Leclerc refusa par écrit l'offre de Ramadier. Il invoqua plus précisément l'impossibilité que lui soit garanti « dans le domaine militaire un effort que la France ne pourra peut-être pas consentir, en particulier en 1948 ». Mais l'essentiel, qu'il ne pouvait pas écrire au chef du gouvernement, paraît bien avoir été le sentiment que le pouvoir politique en France, tel qu'il était et tel qu'il serait dans un avenir prévisible, ne pourrait, faute d'unité, de cohésion et de durée, définir, pour l'Indochine, des objectifs clairs et constants, bref une politique que les moyens envoyés sur place permettraient de mener et de faire aboutir.
Tel fut l'avis donné par de Gaulle. Tels furent aussi le diagnostic et le pronostic de René Pleven, ami personnel de Leclerc depuis Londres, en 1940, qu'il consulta avant sa décision et dont l'opinion fut peut-être décisive pour lui : Pleven, au cœur du système politique de la IVe République, savait de quoi il parlait.

Leclerc, alors, a quitté la scène indochinoise pour n'y plus revenir. Amis, témoins et historiens, critiques et laudateurs, se sont ensuite emparés de tout ce qu'il a dit, écrit et fait, pour apprécier son action et ses jugements. Comme on l'a vu, il y eut toujours chez lui deux constantes. Il fallait, sur le terrain, une force militaire suffisante, instrument indispensable pour faire prévaloir une solution politique, quelle qu'elle fût ; se lancer dans une reconquête entière de l'Indo.
Revenir en haut Aller en bas
fabrepasc
Invité
avatar



De Gaulle et l'Indochine Empty
MessageSujet: Re: De Gaulle et l'Indochine   De Gaulle et l'Indochine Icon_minitimeLun 23 Jan 2012 - 20:14

Chacun jugera.
Revenir en haut Aller en bas
fabrepasc
Invité
avatar



De Gaulle et l'Indochine Empty
MessageSujet: Re: De Gaulle et l'Indochine   De Gaulle et l'Indochine Icon_minitimeMar 24 Jan 2012 - 9:51

Une autre partie de texte qui tend à démontrer que de Gaulle allait dans le sens de Leclerc en ce qui concerne l'indépendance de l'Indochine.Son origine:Fondation Leclerc .com


Je veux également apporter un témoignage sur un autre point qui intéresse aussi les rapports du général de Gaulle avec le général Leclerc au sujet de l'Indochine. La question que l'on me pose souvent est celle-ci : " Pourquoi le général de Gaulle a-t-il nommé deux autorités en Indochine, l'amiral d'Argenlieu et le général Leclerc ? " Je réponds : parce que tous les territoires de la France Libre pendant la guerre ont été administrés par un Haut-commissaire ou Délégué général et par un général ou amiral commandant supérieur des Forces armées. Ce fut vrai pour l'A.F.L., pour le territoire du Levant et pour le Pacifique. Ce fut même la réussite de l'amiral d'Argenlieu avec les Américains, après une crise grave dans le Pacifique, qui orienta le général de Gaulle dans son choix. De plus il fallait remplacer à son avis un amiral, l'amiral Decoux, qui avait fortement marqué l'Indochine, par un autre officier général de la Marine pour la relève.

Le colonel Leclerc et le commandant d'Argenlieu s'étaient de plus fort bien entendus au moment de la campagne du Gabon en 1940, il n'y avait donc pas de raison qu'il en soit autrement en Indochine en 1945.

Enfin l'amiral d'Argenlieu (alias R.-Père Louis de la Trinité) avait demandé à rentrer dans son Ordre des Carmes, et Rome avait fait savoir qu'il était réclamé par le Saint-Siège dès que possible. La mission ne serait donc que temporaire. Le général Leclerc, ou un autre, assurerait la suite avec un Haut-commissaire civil, dans l'esprit du général de Gaulle. Quelle politique pour l'Indochine ?

On a accusé l'amiral d'Argenlieu de ne pas avoir parlé aussitôt d'indépendance Mais ce n'était pas an Haut-commissaire en Indochine, c'était au gouvernement de la France, hésitant, de le faire.

Il est certain que le départ du général de Gaulle a considérablement gêné le gouvernement et l'amiral d'Argenlieu, qui avait quitté Paris avec l'éventualité d'utiliser la carte du prince Vinh San, ancien Empereur d'Annam, en le rétablissant sur son trône, avec extension de ses pouvoirs sur le Tonkin puis la Cochinchine, prévoyant en effet l'indépendance à terme et une confédération avec les territoires du Viêt-Nam, du Cambodge et du Laos.

Le prince Vinh San, fils de l'Empereur Thantaï (de la lignée la plus ancienne des Gialongs qui avait abdiqué en 1907 à la suite de difficultés de santé) avait remplacé son père sur le trône à la suite d'un conseil de famille. Il fut malheureusement mêlé en 1916 à un complot d'étudiants. Avouant sa responsabilité, il fut exilé dans l'île de La Réunion par le Gouvernement de la Ille République. Il arriva à Saint-Denis le 21 novembre 1916 avec sa mère et son père malade, il n'avait que 16 ans.

Pris dans l'ambiance de la jeunesse de La Réunion il devint un lycéen brillant, particulièrement doué en science et remarquable spécialiste radioélectricien, puis la guerre de 1939 arriva.

Après le 18 juin 1940, il se signale par message secret en tant que " gaulliste ", désirant continuer la guerre, à ses voisins anglais de l'île Maurice. Ceux-ci lui demandèrent de rester à La Réunion mais de maintenir le contact avec eux. Ils se présentèrent même comme des représentants de la France Libre et lui firent passer des moyens pour établir et entretenir un réseau. C'est grâce à ce réseau que le ralliement de l'île de La Réunion à la France combattante se réalisera sans difficultés en décembre 1942 entre Français et sans intermédiaires.

Lorsque le torpilleur FNFL " Léopard " du commandant Evenou Richard arriva à La Réunion, le prince Vinh San, qui portait le nom de Duy Tan, s'engagea comme marin-radio sur le bâtiment et y servit en opérations pendant plusieurs semaines. Le général Legentilhomme, Haut-commissaire pour les possessions françaises de l'Océan indien, qui avait servi en Indochine avant guerre, et connaissait l'affaire Duy Tan, ayant appris la chose le convoqua.

Il le félicita de son attitude et lui proposa de l'envoyer en Angleterre pour suivre un stage de formation à l'Ecole des Cadets de la France Libre, afin de le nommer officier. Duy Tan, remercia.

À la suite de manoeuvres diverses du commandement à Madagascar, après le départ du général Legentilhomme et le mien vers l'Afrique du Nord, Duy Tan fut employé comme sous-officier interprète et du chiffre à Tananarive et n'alla pas en Angleterre.

Après le coup de force des Japonais en Indochine le 9 mai 1945, le général Legentilhomme, qui commandait la Région militaire de Normandie, fut convoqué par le ministre des Armées, M. Diethelm, qui avait servi aussi en Indochine avant guerre, pour le consulter au sujet du prince Vinh San.

Le général Legentilhomme fit part de sa déception de ne pas avoir été suivi dans ses projets au sujet du Prince et qu'à on avis le faire venir en France rapidement pour voir ce que l'on pourrait faire avec lui pour l'Indochine.

Il suggéra au ministre de me confier l'accueil du Prince en France, puisque je l'avais connu pendant la guerre à La Réunion.

Alors que j'étais dans la région de Châteauroux avec mon unité de la 2e D.B., je fus convoqué par M. Diethelm m'annonçant que j'étais chargé de cette mission, pour cela je serai aussitôt détaché puis affecté au cabinet militaire du général de Gaulle. Le général Leclerc, mis au courant, tout orienté, comme moi, vers la fin de la campagne d'Allemagne, envoya un télégramme de protestation qui n'eut aucun effet sur le général de Gaulle.

Je reçus donc le prince Vinh San, en juin 1945 et lui fis visiter un certain nombre d'unités qui venaient de terminer victorieusement la guerre en Allemagne.

Notre collaboration se poursuivit à Paris au cabinet militaire.

Bien qu'il y existât à l'époque, rue Saint-Dominique, un comité de l'Indochine qui se réunissait régulièrement, dont le gouverneur de Langlade assurait le secrétariat, je continuai à garder le contact avec le prince Vinh San.

Lors d'un de ses passages par Paris il me remit un exemplaire de ce qu'il appelle " son testament politique ". Il y travaille depuis mars 45, me dit-il. Ce programme contient trois idées-forces :

- Réunion des trois KY (Tonkin, Annam, Cochinchine).

- Indépendance absolue sans aucune réserve.

- Alliance étroite avec la France.

Le prince suit avec attention la situation en Indochine où il a des correspondants. Il m'apprend qu'à la suite de l'arrivée de Leclerc et des opérations militaires de ses troues, des dissidences commencent à se produire au sein du Viêt-Minh. A son avis, l'heure approche d'un règlement politique, seul capable d'amener la paix et la réconciliation dans les esprits.

Ce règlement politique l'inquiète. Il me parle souvent de la déclaration du G.P.R.F. du 24 mars 1945. Il y voit l'oeuvre des bureaux de la " rue Oudinot " qui parlent encore de colonies, d'Empire colonial, de souveraineté française, d'administration directe. " Ils ne veulent entendre parler, me dit-il, ni d'indépendance, ni d'esprit national, ils nient l'existence d'une Nation, d'une Patrie vietnamienne, c'est inquiétant ". Je lui fais remarquer que ce texte a été publié, il y a plusieurs mois, avant le coup de force du 9 mars, et que, de plus, il prévoit la consultation des intéressés, donc il est négociable. Il en convient. Pour Vinh San, le salut est dans la réunion des trois KY, qui se ressemblent par la race, par l'histoire, par la langue. Des alliances avec le Laos et le Cambodge doivent être scellées avec un organisme fédérateur sous l'autorité de la France. Il faut enfin une association étroite, mais sans aucune sujétion avec la France, au point de vue économique, sans aucune réticence puisqu'on lui confierait l'armée et la diplomatie pendant plusieurs années.

Je rends compte de tout cela en haut lieu et quelques jours plus tard il m'est annoncé que le général de Gaulle recevrait le prince Vinh San le 14 décembre. Les deux hommes se mirent d'accord, sur beaucoup de points, au cours de cet entretien. E.-P. Thébault, magistrat, ancien directeur de cabinet du, gouverneur Capagory à La Réunion, qui était un fidèle ami du prince, se trouvant à Paris, l'a rencontré après son entrevue avec le général de Gaulle ; il a écrit ce récit dont je partage entièrement les conclusions. " Pour l'un comme pour l'autre, l'heure n'est pas aux discussions secondaires et aux marchandages. De Gaulle voulait avant tout juger l'homme qu'on lui présentait comme capable de résoudre l'imbroglio indochinois ; il verrait ensuite comment il lui ferait admettre ses idées... Pour Vinh San l'essentiel était de reprendre sa place dans son pays sur un trône qu'il n'avait jamais abandonné. L'un comme l'autre espéraient bien parvenir à se convaincre mutuellement ou tout au moins à s'entendre ; et puis l'essentiel ne consistait-il pas pour la France à reprendre sa place en Indochine et pour Vinh San à y ramener la paix et la prospérité ; son pays était épuisé par la guerre, désorganisé, désemparé... Le plus pressé, c'était de remettre de l'ordre dans la maison, de ramener le paysan à sa rizière et l'ouvrier à son usine, bref de rétablir l'économie de ce pays. Et l'on verrait bien ensuite comment s'entendre sur les modes de gouvernement, les rôles, les droits et les devoirs respectifs de chacun. De Gaulle dans la page de ses Mémoires le montre très nettement : " Je le recevrai pour voir avec lui d'homme à-homme ce que nous pourrons faire ensemble ". C'est donc sans plan nettement défini qu'il reçoit le prince Vinh San. Il veut juger l'homme, lequel ne veut qu'une chose : qu'on le replace à la tête de l'Annam.

Dans une lettre à E.-P. Thébault, le prince écrit de son côté, à la suite d'entretiens avec des collaborateurs du Général : " C'est fait, c'est décidé, le Gouvernement français me replace sur le trône d'Annam, de Gaulle m'y accompagnera lorsque je retournerai là-bas. Quand ? De Gaulle envisage les premiers jours de mars ; d'ici-là on va préparer l'opinion tant française qu'internationale, qu'indochinoise. En outre, il faut mettre sur pied une série d'accords à passer entre les deux gouvernements. Demain à Hué, à Hanoï, à Saigon, deux drapeaux flotteront côte à côte, celui de la France, avec ses trois couleurs et celui du Viêt-Nam avec ses trois barres symbolisant ses trois KY ".

Comme je demandais au prince Vinh San, à mon tour, si le fait de revenir dans son il me répondit tout net : " Mais je n'ai besoin ni d'investiture, ni d'intronisation, je suis légalement l'Empereur. Je n'ai pas abdiqué. Je rentre chez moi avec le général de Gaulle. Exactement comme il est rentré chez lui à Bayeux. Mais c'est un honneur pour moi d'accomplir ce geste à ses côtés. D'ailleurs tout cela sera sanctionné par une consultation populaire, si les Indochinois ne veulent plus d'Empereur on changera la Constitution ".

Il avait été fasciné par la personnalité du général de Gaulle. Avant de le rencontrer il admirait son oeuvre, mais quand il l'eut vu et parlé avec lui, il fut littéralement conquis. " Après avoir sauvé la France Libre, il va sauver l'Indochine ", me dit-il. Son départ pour La Réunion était fixé au 24 décembre. Disant au revoir à E.-P. Thébault, il examine froidement l'avenir avec beaucoup de courage. " Je vais donc retourner en Indochine, peut-être pour y recevoir une bombe, c'est le destin et l'on n'y échappe pas. Le poignard, la balle ou la bombe, c'est le destin des princes. J'envisage cette perspective sans peur et sans effroi. Le jour où je tomberai ainsi, j'aurai accompli mon destin et en tous les cas j'aurai fait mon devoir, celui que ma naissance m'a imposé, j'aurai fait ce pourquoi je suis prince. Mais je ne me déroberai pas. Si je meurs je veux qu'on inscrive sur ma tombe l'épitaphe suivante : "J'ai conscience d'avoir servi la France comme j'ai servi mon propre pays".

Le prince Vinh San prit passage sur un avion Lockheed Lodester des lignes aériennes françaises qu'exploitait le colonel de Marmier. C'était peut-être l'appareil que nous avions pris pour aller du Caire à Nairobi, à Djibouti ou à Madagascar. Ce type d'appareil n'avait pas un long rayon d'action, il avait besoin de faire beaucoup d'escales. C'est ainsi que, parti de Paris le 24 décembre, il était à Fort-Lamy au Tchad seulement le 26 décembre, après avoir fait étape à Alger. L'appareil quittera Fort-Lamy le 26 à 13 heures 50 pour une nouvelle escale. Vers 18 heures 30 G.M.T., près du village de Bossako, subdivision de M'Baiki, l'avion s'écrasait, il n'y eut aucun survivant. Erreur des instruments, erreur de navigation, attaque par la foudre ce qui expliquerait le silence de sa radio, ou plus simplement une tornade sur Bangui qui aurait empêché le pilote d'atterrir ?

Celui-ci aurait alors recherché une clairière ou une piste hors de la forêt au nord de Bangui vers la vallée de la Lobaye, car l'avion s'est écrasé à proximité d'une colline dont il écrêta les arbres... Il cherchait donc à atterrir. Le général de Gaulle fut très affecté par cette mort du prince Vinh San. Lors d'un dîner chez lui, à la villa de Neuilly, le général me prit à part et me dit : " La France n'a pas de chance en ce moment... Cette mort du prince nous prive d'une carte maîtresse en Indochine ". Puis il ajouta qu'il avait donné des instructions très rigoureuses pour qu'une enquête approfondie soit faite sur cet " accident ". En prononçant ce mot il fit une moue qui en disait long sur ses soupçons.

Cette enquête devait aboutir aux hypothèses énumérées ci-dessus dans la conclusion de son livre sur " Duy Tan ", M. Boulé, qui était son ami de longue date, n'hésite pas à affirmer qu'il y a eu une manoeuvre criminelle. E.-P. Thébault et moi-même aurons toujours un doute sur les causes de cette catastrophe, le retour du prince n'étant pas apprécié dans certains milieux d'Indochine et dans certains partis politiques.

L'amiral d'Argenlieu fut douloureusement touché par cette mort qui rendait caduques les directives du général de Gaulle sur la restauration éventuelle de la monarchie au Viêt-Nam. Un de ses derniers télégrammes au chef du G.P.R.F. disait : " Le prince dispose de soutiens importants, en particulier les Dao Xen. Des sections sont établies en province, elles font circuler les prophéties de Tan Trinh, les N'Guyen reviendront et une ère nouvelle commencera, Duy Tan est l'ère nouvelle ". Et ailleurs, dans une autre correspondance au général, l'amiral signalait qu'Hô Chi Minh étant gêné au Tonkin par les Chinois de Lou Han, le prince pourrait établir son autorité en Annam et dans le Sud, ce qui lui permettrait par la suite de s'imposer au Tonkin et au Cochinchine.

Contrarié dans ses projets, soupçonneux comme l'était l'amiral, il faisait faire une enquête sur les circonstances de l'accident de M'Baiki par le colonel de Saint-Péreuse, colonel de l'armée de l'Air, secrétaire général de l'Ordre de la Libération. Celui-ci concluait que l'insuffisance des aides radio à la navigation à partir de Bangui et notamment l'absence de tout radio-guidage avaient rendu impossible le retour sur Bangui, moyennant quoi le pilote, s'étant trouvé à court d'essence, avait cherché à se poser dans une clairière. Quant au changement de route vers le Nord, il aurait été occasionné par un front de tornade que l'équipage attrait voulu contourner. Le prince fut enterré à M'Baiki dans le cimetière de la mission catholique ; sur sa tombe fut inscrite l'épitaphe qu'il avait demandée : " J'ai conscience d'avoir servi la France comme mon propre pays ". En 1985 la famille du prince demanda son retour au Viêt-Nam, il fut reçu avec des honneurs dignes d'un chef d'Etat par les autorités en place.......................

OBSERVATIONS présentées à la suite de la communication du général d'Armée Alain de Boissieu (Séance du lundi 29 janvier1996)............................................................................................
Pierre MESSMER : Vous avez évoqué dans la dernière partie de votre conférence le testament de Vinh San. Il se résume en deux voeux : la réunion des trois KYS, d'une part, et l'indépendance à terme, d'autre part. Ces revendications sont les mêmes que celles avancées à la même époque par Ho Chi Minh. Cette convergence montre à quel point l'aveuglement était général en France, tant chez les civils que chez les militaires, à propos de l'Indochine. On continuait d'affirmer qu'il n'y avait pas de mouvement nationaliste puissant et profond au Vietnam.

Ce constat m'amène à vous poser la question suivante : si Vinh San n'était pas mort dans cet accident d'avion, le général l'aurait rétabli comme l'Empereur qu'il avait été. Vinh San aurait donc réclamé au général la réunion des trois KYS et l'indépendance à terme. Quelle aurait-été la réaction du général de Gaulle à une demande à laquelle il devait s'attendre ?

Réponse : Sans doute. J'étais présent lorsque le Général a lu ce testament de Duy Tan. Il n'a eu aucune réaction négative. Ce que j'avais d'ailleurs confirmé à Palewski. Il est tout à fait erroné d'affirmer, comme on le fait maintenant, que le Général de Gaulle n'avait rien compris au problème indochinois, il avait parfaitement admis l'indépendance à terme pour les trois royaumes, Vietnam, Cambodge et Laos, et le regroupement dans une sorte de Fédération de la péninsule indochinoise..............................................
Revenir en haut Aller en bas
Monrose

Monrose


Nombre de messages : 83
Age : 89
Localisation : Nice
Date d'inscription : 15/04/2017

De Gaulle et l'Indochine Empty
MessageSujet: en lisant de La Gorce   De Gaulle et l'Indochine Icon_minitimeVen 15 Mai 2020 - 9:37

Une phrase dans cette longue explication de l'attitude de De Gaulle sur l'Indochine m'a "interpellé"

L'une des premières missions que devaient remplir d'Argenlieu et Leclerc était d'ailleurs l'épuration des cadres coloniaux, dont on estimait qu'ils étaient les moins capables de représenter la France d'après la libération, et de reconquérir l'estime des peuples indochinois.


Elle illustre bien ce que fut De Gaulle: "un bol de haine et de rancoeur contre tous", comme l'avait noté la femme du General Spears qui l'accueillit en 1940 en Angleterre. Lisez du Gouverneur Georges Gautier, "la fin de l'Indochine française" et du Colonel Pierre Quatrepoint: "De Gaulle et L'Indochine l'aveuglement"

Une question ? De Gaulle, avisé en urgence par Juin, qui le tenait des Anglais, a-t-il bien interdit d'informer les Troupes de l'Amiral Decoux du coup de force japonais du 9 mars 1945, entrainant la mort de plus de 3.000 militaires et civils, dont le général Lemonnier décapité à Lang son. L'ennemi numéro un pour De Langlade envoyé par De Gaulle n'est pas le Japonais mais l'Amiral Decoux ( François de Langlade avait annoncé : "La France qui a perdu dans la Résistance 100 000 des siens, ne tolèrerait pas que l’Indochine soit "libérée" sans le sacrifice de 10 000 des siens " )
Decoux avait un gros défaut  Il avait frappé la Thaïlande, allié des Japonais lors d'une offensive étudiée par toutes le Marines sauf la nôtre ( War games),  et chargé l'amiral Jules Terraux et le capitaine de vaisseau Régis Bérenger de cette mission. La victoire navale de Koh Chang, le 17 janvier 1941, la seule remportée par la France, sans le concours de ses alliés, au cours de la Seconde Guerre mondiale, signale la fin des agressions thaïlandaises. 
 
Autre question? Le "Carme naval" comme on le qualifiait à l'époque, Th. d'Argenlieu continuait-il à informer De Gaulle et à suivre ses conseils, après la démission de celui-ci en janvier 1946 ( persuadé qu'on allait le rappeler. Lire "en écoutant De Gaulle  du Capitaine Claude Guy). En un mot, le bombardement de Haiphong qui démarre la guerre d'Indochine a-t-il été inspiré par De Gaulle et son "irrédentisme" (affiché lors de la conférence de Brazzaville [size=16]30 janvier au 8 février 1944,[size=13] où il confirme que le lien entre la France et ses colonies est « définitif » et dont la déclaration finale de la conférence rejette catégoriquement « toute possibilité d'évolution hors du bloc français et toute constitution, même lointaine, de self-government )[/size][/size]
Revenir en haut Aller en bas
Glard

Glard


Nombre de messages : 6003
Age : 81
Localisation : Aix en Provence
Date d'inscription : 10/08/2015

De Gaulle et l'Indochine Empty
MessageSujet: Re: De Gaulle et l'Indochine   De Gaulle et l'Indochine Icon_minitimeVen 15 Mai 2020 - 10:09

Les explications données par Monrose sont limpides . Rien à rajouter.

Merci l'Ancien.
Revenir en haut Aller en bas
Lothy-SF
Admin
Lothy-SF


Nombre de messages : 16313
Age : 76
Localisation : Ile de France!
Date d'inscription : 14/12/2016

De Gaulle et l'Indochine Empty
MessageSujet: Re: De Gaulle et l'Indochine   De Gaulle et l'Indochine Icon_minitimeSam 19 Déc 2020 - 10:59

Je reviens sur ce sujet que nous a laissé Fabrepasc ou DLF, puisque c'est aujourd'hui le 74e anniversaire du début de la Guerre d'Indochine.

Cela se passait le 19 décembre 1946.

Ce sujet en ouvre d'autres bien sûr ! Notamment un portrait de l'Oncle Hô, un du Boss Indochine 1944-1945
....

_________________
S.F.
"La Guerre n'est pas belle, l'Humanité ne l'est pas non plus..." - Général Bigeard
Le temps qui passe nous rappelle la vérité de cette phrase.


Dernière édition par Lothy-SF le Sam 19 Déc 2020 - 16:29, édité 2 fois
Revenir en haut Aller en bas
Glard

Glard


Nombre de messages : 6003
Age : 81
Localisation : Aix en Provence
Date d'inscription : 10/08/2015

De Gaulle et l'Indochine Empty
MessageSujet: Re: De Gaulle et l'Indochine   De Gaulle et l'Indochine Icon_minitimeSam 19 Déc 2020 - 16:22

Monrose pose les bonnes questions.
Si on voulait rallumer et augmenter la guerre, Tien-lieu d'Argenterie (Le Carme naval) a fait tout ce qu'il fallait.


On peut aussi parler de Trinquier, qui était Capitaine,  en poste à Pékin à la veille de la seconde guerre mondiale, qui s'est replié à Chang Hai à la capitulation avec un bataillon mixte Franco-Annamite en Janvier 1940, et qui a maintenu la présence militaire Française malgré l'occupation de la ville par les troupes japonaises, totalement coupé de la Métropole.
 Lors de la capitulation japonaise, les Français récupéreront les armes qui ont échappé aux fouilles et reprendront une certaine autonomie, vivant à crédit jusqu'à l'arrivée des autorités "gaullistes". 
Objet de suspicions et considérés comme "collaborateurs" des Japonais, les officiers du bataillon devront remplir un questionnaire détaillé au sujet de leurs activités durant la période 40/46... 
Trinquier, à la suite du suicide de son chef de corps et moralement affecté, refusera et remettra même sa démission.
Le général Raoul Salan le convainc de rester et il se porte immédiatement volontaire pour l'Indochine. 
De ce fait son avancement sera compromis durant des années...


Les vieilles rancœurs sont solides...Le temps ne les oxyde pas !
Revenir en haut Aller en bas
 
De Gaulle et l'Indochine
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Le cachet de de Gaulle
» L'opération "Pegasus bridge"
» Rivalité Giraud de Gaulle en 1943

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
Paras de tous les horizons :: Histoire :: Un peu d'histoire... :: Indochine...-
Sauter vers: