[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Un article de ToubibLettre du Général E. M. LYNCH 1989
Gambsheim Décembre 44,
Mon unité le 19° bataillon d'Infanterie de la 14° Division blindée a attaqué Gambsheim le 7 décembre 1944. C'est une date facile a retenir : il y avait trois ans jour pour jour que les japonais avait bombardé Pearl Harbour.
Avant de venir en Alsace, nous avions combattu en unité indépendante dans les alpes maritimes.
Nous avons rejoint le reste de la division le 2 décembre à Lixhausen et nous sommes préparés à une offensive de grande envergure sur la ligne Siegfried.
La 79°division d'Infanterie était chargée de protéger le flanc droit du corps d'armées jusqu'à ce que nous soyons prêts.
Le 94e escadron de cavalerie qui appartenait également à la 14° Division blindée était rattaché à la 79e division pour la circonstance.
Le 6 décembre,le Commandant de la 79e Division ordonna d'attaquer Gambsheim le lendemain. Le Commandant de notre division considérant le 94e trop faible pour accomplir cette tâche à lui tout seul,engagea le 19e Bataillon à la dernière minute.
L'ordre de mouvement nous parvint le soir.
Mon unité, la compagnie C était la première à se mettre en route.
Les Compagnies B et C du 19e devaient attaquer Gambsheim par l'est, tandis que 94e attaquerait par le sud et par l'ouest.
Une section de blindés fut rattachée au 94e. La Compagnie A du 19e arriva après minuit. Elle resta à Kilstett afin de protéger les PC des 19e et 94e. Elle devait se tenir prête à appuyer l'attaque du 94e.
Les Compagnies B et C quittèrent Kilstett vers 4 Hoo du matin. Nous nous dirigeâmes vers l'est jusqu'à la digue du Rhin,puis vers le nord jusqu'à ce que nous nous soyons trouvés a l'est de Gambsheim. Les ennemis ne remarquèrent pas notre déplacement, nous nous déployâmes derrière la digue, la Compagnie B sur la droite et la Compagnie C sur la gauche.
le brouillard,l'humidité et les crues étaient difficilement supportables alors que nous attendions l'heure critique.
600 projectiles furent tirés au cours du barrage d'artillerie qui commença à 8Hoo du matin. Une demi-heure plus tard, le 19e et le 94e attaquèrent ensemble, l'effet de surprise joua en faveur des fantassins. L'ennemi ne répliqua par ses tirs que lorsque nous nous trouvâmes à 500 m des maisons, nos premiers prisonniers étaient des cuisiniers et des secrétaires.
Mais l'ennemi se ressaisit rapidement. Des tirs commencèrent à nous atteindre. Les ME 109 mitraillèrent nos positions d'artillerie. Les chars qui venaient de Kilstett se heurtèrent à des tirs d'antichars dévastateurs, les tirs des armes automatiques ennemis étaient intenses.
L'attaque de nos fantassins se déroula sans incident jusqu'à ce que nous soyons parvenus à un petit pont. Plusieurs soldats commencèrent à traverser y compris le chef de section, le lieutenant Alvin NIXON. Soudain des mitrailleuses ennemis cachées le long de la routes en face de nous se mirent à cracher leurs projectiles mortels, quatre hommes furent touchés, dont Nixon et son opérateur radio. L'infirmier de notre compagnie,John W. Smith, se porta à leur secours. Un tireur d'élite l'atteint en dépit de la croix rouge peinte sur son casque. Il se fit un pansement et donna les premiers soin à Nixon,le tireur l'atteint une seconde fois, Smith se fit un autre pansement et continua à soigner Nixon.
Mon peloton s'avança afin de fournir des tirs de couverture. Mais nous ne pouvions atteindre l'ennemi de ce coté-ci du pont. Je commençais à traverser avec quatre hommes de ma section. Je regardai derrière moi en arrivant de l'autre côté.
Les quatre hommes étaient blessés. Je retournai chercher des munitions et quelqu'un pour m'aider à servir la mitrailleuse.
Le chef de l'escouade s'avança et nous engageâmes le combat. L'ennemi était bien caché et il nous fallut quelques secondes pour repérer ses positions. Une mitrailleuse se trouvait du coté droit, entre un grand poteau de bois et une clôture au bout de la rue. L'autre était placée près d'un mur courbe de l'autre coté, nous réussîmes à les éliminer toutes les deux.
Un obus de mortier explosa à quelques pieds de notre position.
Je fus atteint à l'épaule tandis que le chef d'escouade était blessé à la main. Nous continuâmes néanmoins à tirer. D'autres vinrent aider. L'un d'eux fut soudain touchés par une balle de fusil. Ceci nous indiqua que les tireurs d'élite n'avaient pas été éliminés. Nous visâmes les fenêtres de toutes les maisons de la rue.
Soudain le lieutenant Robert Eckert découvrit la cachette d'un tireur d'élite, tandis que nous le couvrions, il entra dans la maison et captura l'allemand. Alors qu'il passait devant nous, un autre tireur d'élite l'atteignit dans le dos. De nouveau nous tirâmes dans les fenêtres jusqu'à l'arrivée de fusiliers qui éliminèrent les tireurs embusqués.
Puis nous continuâmes à nettoyer la localité. La nuit tombée, la partie Nord-Est de Gambsheim était entre nos mains. Malheureusement le 94e se heurta à une vive résistance ennemie à l'emplacement d'un pont au sud de la localité. Nous ne pûmes donc opérer la jonction de nos unités. Il était impossible d'évacuer les blessés et d'obtenir des provisions tant que le pont n'était pas réparé.
Pendant la nuit, les compagnies B et C établirent des postes avancés dans le secteur qui avait été libéré et se préparèrent à une contre-attaque ennemie. En même temps, la troupe A du 94e et la compagnie A du 19e arrivèrent en renfort et le 125e génie répara le pont. A l'aube les deux forces opérèrent leur jonction. Elles achevèrent de nettoyer Gambsheim.
Les hommes des Compagnies B et C n'oublieront jamais la nuit du 7 décembre. Isolés, manquant de pansements et de médicaments, ils virent les civils s'occuper de leurs blessés et préparer des repas chauds. En ce qui me concerne, une femme chez qui nous nous étions réfugiés remarqua ma blessure à l’épaule. Elle prépara une compresse qui m'aida à tenir pendant la nuit.
Dans l'après midi de 8 décembre, le 94e nous releva. Le 19e retourna à Kilstett. Nous grimpâmes dans nos véhicules afin de regagner Lixhausen. C'est alors que je me rendis compte du prix que nous avions payé. Notre compagnie avait eu 31 victimes. Mon escouade avait été particulièrement touchée, sur les douze hommes qui avait fait le trajet en halftrack jusqu'à Kilstett, il n'en restait plus que six. Parti comme sous chef, je rentrais comme chef d'une section beaucoup plus petite.
Ce n'est qu'au moment de l'
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L'offensive du 17 Mars nous emmena jusqu'à la ligne Siegfried. J'étais chef de peloton. Je me rendis de Schleithal à Gambsheim en jeep avec deux des hommes qui avaient été blessés sur le pont. Nous voulions remercier à nouveau ceux qui s'étaient occupé de nous. Les dégâts causés par les combats de janvier nous brisèrent le cœur. Pire encore, nous ne pûmes trouver de visage familier. C'est alors que nous comprîmes ce que nos amis avaient subi et le prix qu'ils avaient dû payer pour leur liberté.
Au cours de mes voyages j'ai visité d'autres pays et j'ai participé à deux autres guerres en vingt ans. Mais je n'ai jamais oublié Gambsheim. Et j'ai toujours voulu retourner voir ce beau village.
A l'automne 89, je suis revenu avec un ami. 45 ans se sont écoulés depuis que j'ai franchi ce pont sanglant. Le pont a été reconstruit et élargi. La route a été refaite. Le poteau de bois au bout de la rue a été remplacé par un poteau de béton. La grille, là où j'ai été blessé, est toujours là. Mieux encore la maison où j'ai passé cette nuit douloureuse et la vielle boulangerie où nos blessés ont reçu les premiers soins est également là.
J'essayai de prendre une photo du pont avec la rue vide, comme elle l'était en ce jour de décembre. Mais des voitures passaient, des écoliers marchaient en petits groupes, des ménagères souriantes et des cyclistes me faisaient signes.
Cela me contraria. Mais seulement un instant. Puis je me rendis compte que c'était pour cela que les hommes du 19e avaient lutté. C'était pour apporter la paix à un petit village alsacien : où les rues ne seraient plus jamais désertes, où le rire des enfants couvrirait les bruits de la guerre, où les sourires chaleureux des vivants remplaceraient le masque des morts, et où la promesse de la vie serait visible dans les yeux des passants.
Une petite voix intérieure me dit : "bienvenue à Gambsheim"
Général E. M. LYNCH, USA Ret.
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