Retour à Tuyen-Quang

Les compagnies du II/1erRCP quittent la Citadelle  à l'aube du 7 mai 1949, direction Bach Mai. Les GMC roulent dans la nuit d'Hanoi, chargés d'hommes et de matériel. L'opération Pomone 2 vient de débuter, elle a pour objectif de détruire une importante zone viet (regroupement d'unités et fabrication d'armes) entre Tuyen-Quang et le fleuve Song Chay.


Les sticks embarquent à 7h00 du matin dans les Ju-52 qui vont les larguer en plusieurs vagues à proximité du Chay ; dès leur arrivée au sol, les paras doivent se regrouper sous les tirs des miliciens, puis franchir le fleuve avec ce qu'ils peuvent trouver, puisque le pont est détruit. 
Toute la journée ils progressent sur des pistes de jungle, harcelés par les viets qui sont ici chez eux ; d'ailleurs le but de la première journée, l'ancienne sous-préfecture de Phu-Doan qu'ils atteignent en soirée, est entièrement détruite : il ne reste rien de cette cité jadis florissante,


rien que des villages hostiles et désertés. Phu Doan est bien le symbole du nouvel ordre vietminh. Les cartes du début des années 1950 montrent d'ailleurs que la confluence de la Rivière Claire et du Chay n'est plus urbanisée..


Le lendemain 8 mai, les paras sont rejoints par une colonne de tirailleurs nord-africains, puis dans l'après-midi par un bataillon de spahis et de légionnaires, tandis que les largages de matériel et de munitions se poursuivent dans la journée.
Le 10 mai, les paras prennent la tête de la colonne direction Tuyen-Quang. Le Song Chay fait place à un paysage de hautes collines couvertes de jungle surplombant une route qui grimpe peu à peu sous une chaleur écrasante. C'est le lendemain en fin de matinée qu'ils atteignent le site de Tuyen-Quang : le panneau indicateur est troué de balles, à l'entrée de la ville, il n'y a plus une maison en dur, elles ont été rasées, remplacées par des paillotes...
Seul le pont est intact,  suivi d'un monument viet représentant un polygone d'étoiles... La ville est là, les paras stoppent, c'est la Légion qui entre la première dans Tuyen-Quang...
Enfin, ce qu'il en reste : tout est détruit, rasé, les écoles, les hôpitaux, tout ; tous les arbres ont été sciés ; seuls subsistent la pagode et la cathédrale...
Du passé colonial, les viets ont fait table rase...

René Collard fait maintenant partie de la 8e Compagnie, Capitaine Audema ; depuis son dernier séjour à Hanoï, il a été rétrogradé caporal-chef sur ordre du Capitaine Berjon puis muté à la Compagnie de Commandement du Capitaine Aussaresses ; celui-ci, compatissant, l'a orienté sur un stage d'infirmier, qui lui a permis de se retrouver  en compagnie de combat...


Voici René :


Les paras s'avancent vers les épaisses murailles de la Citadelle chinoise bien sûr préservée :


Ils la contournent pour déborder le site par le nord et poussent une reconnaissance en direction de Ha Giang, rapidement ils parviennent dans un village de paillotes désertes mais toutes neuves qui servent de magasins et de camp aux viets :


C'est là qu'ils passent une nuit tranquille. Le lendemain 13 mai, ils reprennent la même route, qui disparaît rapidement sous les tranchées et une végétation envahissante de roseaux et de buissons dominés par de sombres collines boisées et abruptes. Le sentier s'élargit à nouveau, on distingue un village, soudain, des coups de feu en partent, c'est un véritable accrochage, les FM de la section de tête ripostent, les grenades explosent, les viets décrochent en laissant plusieurs morts et des prisonniers, mains sur la tête, qui se dirigent vers les Français en psalmodiant "ne me tuez pas!". Dans le village, les paras découvrent des tracts étonnants :
"Jeunes Français, exigez votre rapatriement... vos frères de la jeunesse démocratique française et vos soeurs de l'union des femmes françaises vous appellent."
La colonne est rappelée par radio à Tuyen-Quang.

Les paras gagnent les anciennes murailles qui cernent la colline de la Citadelle, et les bâtiments militaires envahis par la végétation:




Du haut des remparts, ils contemplent le vaste panorama d'une ville rasée d'où s'élèvent de traviole quelques poteaux télégraphiques, en imaginant ce qu'était Tuyen-Quang avant que les Viets n'en fassent le symbole de leur sens de l'Histoire :



La nuit tombe avec l'orage tropical, les hommes dorment dans 5 cm d'eau...
Au matin, tandis que le soleil sèche treillis et effets, et que les Ju-52 larguent le ravitaillement, un canon viet de 75 installé sur un piton prend les avions pour cible. René et ses collègues creusent des tranchées de protection en attendant l'ordre d'avancer, bien leur en prend, dans la nuit, des dizaines d'obus martèlent le camp français.
Le lendemain 16 mai 1949, la longue colonne des paras entame l'approche de la pièce viet, il est 3 heures, l'obscurité est totale, les hommes s'agrippent pour ne pas perdre le contact : jungle, cours d'eau, ascensions, le lent contournement se fait dans la difficulté, à l'aube ils ont parcouru 10 km épuisants, mais le piton est encerclé ; les hussards parachutistes de la 6e Compagnie lancent l'assaut à 10 h et brisent le silence : explosions des pièges, premiers tirs, la bataille fait rage, l'artillerie appuie depuis la Citadelle ; et puis le calme l'emporte peu à peu, la Compagnie Lorgeoux s'est emparée du 75... Les paras reviennent victorieux.

Le 17 mai, les troupes françaises quittent progressivement Tuyen-Quang, cette fois définitivement. Sous un ciel bas qui masque les hauteurs, les colonnes prennent la route défoncée de Yen-Bay, au sud-est, direction Phu-Yen, une vingtaine de km -à vol d'oiseau- .



La section de commandement Andriot où se trouvent les trois infirmiers et leur PIM chargé de 30 kg de matériel médical est partie en fin de soirée ; elle passe la nuit sur un piton surplombant la piste, à Giang Chanh. La météo, toujours bouchée le lendemain, interdit tout ravitaillement ; les paras, marqués par 10 jours d'opérations à rythme soutenu, doivent se nourrir de lianes sucrées. Ils atteignent Phu-Hien, désert, et le Song Chay vers midi. 
C'est là qu'un largage de ravitaillement les atteint le 19. La compagnie est alors envoyée en reconnaissance en amont du Chay, dans un paysage de rizières étroites cernées de pitons et de collines sombres.


C'est là qu'ils accrochent victorieusement une embuscade, faisant un butin tandis que le 1e BEP, de l'autre côté du Chay, parvient à récupérer 8 mortiers de 60mm. Ils rentrent à Phu-Hien épuisés, dans une nuit d'encre. Deux jours plus tard, ils partent pour Phu Doan, qu'ils atteignent le 22 mai.

Le mouvement de retour sur Vietri débute le 24 mai, paras et spahis sur chaque bord de la Rivière Claire, tandis que les LCM, recueillant parachutes et blessés, traînent des files de sampans chargés de centaines de réfugiés. Le long du fleuve brûlent les villages viets.

Encore 5 ans avant la terrible fin...
Tous les espoirs étaient encore permis, du moins pour tous ceux qui combattaient dans la boue et la chaleur....

beau témoignage d'une période difficile ...

Georges ,
 
Ta carte du Tonkin  administratif est superbe , D'origine ? je n'ai pas vu de date imprimée .

Je cherche ce genre,  dans les brocantes , mais pas évident à trouver ...

Oui Marcel , le terme" terrible guerre" est tout juste suffisant , pour Ceux qui étaient au contact ... à mon humble avis  !

Rpima-6: je bosse à partir du livre de Fleury, "adieu sergent", et ensuite sur la carte détaillée dont tu parles, en cherchant ensuite sur le net... mais il suffit de taper une lettre de + ou de -, et on s'embrouille dans les sites... c'est des heures pour essayer de comprendre, mais c'est incroyable... hélas je ne retrouve pas tout l'itinéraire  

De quel itinéraire aurais-tu besoin ?...

J'ai pas mal de docs sur cette guerre, et je peux éventuellement m'en procurer auprès d'un Ancien du 1er RCP....

Merci Lothy...
Il y a un site très intéressant... ICI

L'auteur y fait une sorte de marche du souvenir français au Tonkin, retrouvant les lieux des combats... et découvrant le Tonkin moderne: c'est passionnant... et
c'est  un peu ce que j'essaye ici  avec le clavier à partir des souvenirs de René Collard: 
comme je vais  maintenant aborder le dramatique accrochage de Lé-My... et que  je ne trouve aucune photo de cet endroit ...( seulement des images de lieux assez similaires) ... si jamais tu "as" ce Lé-My, merci d'intervenir!  

Quelle unité était engagée dans ce combat ? le BEP ou le II/1er RCP ?

Le nom ne me dit rien, mais je vais voir plus avant...

Bingo !... J'ai trouvé, mais je ne te promets rien, je vais tenter de scanner la carte qui a été faite à la main !....

Info de première main Georges , le site "Passelande" !

J'y retourne ... je n'ai pas vu si c'est un Ancien d'Indo ...

Mais "il" sait parler du Tonkin ...  , 1000kms à pieds ... surtout prés de la frontière Chinoise ... Ca monte et ca descend ...

Merci pour tout le travail que ça te fait ,  ton post est fort intéressant et bien structuré  .

 la carte qui a été faite à la main !....       

Quand à " Fleury " , c'était un commando marine il me semble , Ils intervenaient souvent en parallèle avec d'autres unités lorsque l'opé empruntait les rivières .

Citation :

Quant à " Fleury ", c'était un commando marine il me semble , Ils intervenaient souvent en parallèle avec d'autres unités lorsque l'opé empruntait les rivières .

De source plus que fiable, puisque émanant de participants à ces opérations en Indochine, le fait qu'ils soient commando, colo, métro, ne revêtait pas un caractère très important pour eux. Excepté dans les hautes sphères.

Ils étaient tous "dans la même galère"....

Georges Fleury, ancien "Commando Jaubert" a écrit un très bel ouvrage sur l'histoire du 1er RCP, de ses bataillons en Indochine, du régiment ensuite en Algérie... Et bien d'autres.
Ouvrages documentés grâce à l'aide d'anciens de ces unités.

Merci à Tous pour votre coup de pouce, ça aide, comme vous allez voir...
Juste un mot à propos de Guy Passelande, c'est un  officier para ... 

Bon je reviens au repli de Pomone 2 du site de Phu Doan en direction de Viétri le 24 mai 1949, une quarantaine de km, mais en terrain pourri, de nombreux hameaux étalés à proximité de la Rivière Claire, souvent adossés à des pitons boisés d'une cinquantaine de mètres surplombant rizières étroites ou bananeraies ; il faut les reconnaître à chaque fois, avec leurs palissades autour des enclos familiaux ; de plus, une jungle de broussailles masque le plus souvent l'eau et les engins de la Marine et il y a la fatigue et la fièvre de cette longue opération, les pluies alternant avec la chaleur, et les petits matins trempés : le palu est quasi assuré.
Le soir venu, les paras n'ont pas couvert 20 km... Au matin du 25, ils grelottent de froid : il a plu sans arrêt toute la nuit...

C'est la 8e compagnie qui ouvre la route, les embuscades se succèdent, d'abord un seul bo-doï qui, en deux lancés de grenade, depuis la jungle du bord de l'eau, parvient à atteindre gravement 4 paras et un partisan.
Et puis c'est Lé-My...

Lé-My, c'est environ à 25 km de l'étape Viétri, une embuscade meurtrière en deux temps, montée à proximité d'une boucle de la Rivière Claire, sur le site d'un poste indigène noté sur la carte du Tonkin administratif. Le village, bien placé, est situé au bord d'une piste qui mène à Phu-To sur le Fleuve Rouge.

Grâce à la communication de Lothy, voici le croquis qu'en a fait un acteur:


Il est dix heures du matin, plusieurs mitrailleuses et un canon de 20 engagent de loin la colonne qui débouche sur une bananeraie. Les viets sont rapidement débordés par la 6e compagnie (l'escadron sur le croquis) et obligés de démonter en direction du fond de la bananeraie ouvrant sur une rizière étroite bordée de jungle et dominée par un piton boisé... Le paysage ressemblerait un peu à ceci :


Prudemment les paras de la 8 se regroupent sous l'abri relatif des troncs avant d'engager la rizière du fond. Tandis que le reste de la compagnie sécurise le hameau désert de Lé-My et sa pagode, c'est la section Mellot qui prend la reconnaissance en direction du piton qui surplombe à 1 km à peine... Les GV s'avancent, bien étalés, tandis que la section Andriot attend son tour à l'orée.

Et c'est le déchaînement d'un feu nourri et fichant, canon de 20 et armes collectives viets embusqués au flanc du mamelon, qui ne laissent aucune chance à Mellot et ses hommes ! Sous des tirs incessants et nourris, René Collard se lance en avant, rejoint les paras blessés et bientôt aidé par d'autres volontaires, les hale vers les bananiers, échappant par chance aux projectiles. Les malheureux, gravement atteints, sont brancardés vers la pagode où le médecin-capitaine Azorin tente de les sauver...

C'est là encore la 6, partie plus tôt en débordement de la première embuscade, qui va obliger les Viets à quitter progressivement leurs postes d'embuscade en sauvant leurs armes lourdes...

Lé-My a coûté la vie au lieutenant Mellot et à 5 paras de la 8e compagnie ; 12 hommes ont été blessés... Sous un soleil de plomb, la Rivière Claire luit comme si elle était en fusion... Il faut pourtant repartir vers Viétri...

on attend la suite ...

mine de rien, ca fait du boulot, hein ? ... lol

Oui c'est du travail.... D'où l'importance d'un petit message de remerciement pour marquer l'intérêt que l'on porte au récit....

C'est le 29 mai 1949, au terme des 21 jours d'une opération Pomone 2 épuisante, que le Groupement du II/1er RCP parvient enfin au grand poste de Viétri ; il fait une chaleur de four, les hommes assèchent le Foyer, heureux... Mais marqués à jamais par des images terribles


Les jours suivants, ils rentreront en LCM sur Hanoî... A eux les délices de la civilisation...et une bonne semaine de repos à Do-Son :

tandis que l'état-major planchera sur les bilans et les leçons de Pomone 2 :
là, c'est moins réjouissant...
Les Viets, tout en refusant l'affrontement direct, infligent des pertes, détruisent ou détournent à leur profit les grands équipements, par  exemple, les innombrables rails déboulonnés, ou le pont de Viétri, 400 mètres, démonté au profit des ateliers de guerre viets


Comme cette usine clandestine,  TD 20, découverte par le 1e BEP, et qui dispose de machines électriques et à vapeur, ainsi que d'une voie Decauville...
La production locale d'armements  est impressionnante d'après le 2e Bureau,  
l'armement viet en 1947-48 équivaudrait à celui de l'infanterie française en 1939 !

Et toutes ces routes "pianotées" et doublées de pistes clandestines soigneusement camouflées :

Il faut se rendre à l'évidence : ce retour à Tuyen-Quang démontre une montée en puissance de l'appareil de guerre vietminh...

Et malgré tout cela, nos têtes pensantes des Etats Majors comme celles des ministères parisiens, n'ont jamais voulu croire que le VM pouvait être un adversaire redoutable et tout à fait crédible...

Effroyable complexe de supériorité qui a coûté très cher, sauf à ceux qui décidèrent....

marcel a écrit:

fais gaffe aux liens ...
ce n'est pas parce que le Boss ... bla bla bla .....

Quand le Boss revient, j'en fais mon affaire....   Le problème est résolu...

Si tous les admis et modos, faisaient leur boulot, cela n'arriverait pas   

Merci Lothy et Marcel: je vais reprendre le mode d'emploi    pour les liens...

georges a écrit:

Merci Lothy et Marcel: je vais reprendre le mode d'emploi    pour les liens...

Dans la partie que je peux rectifier, pas de souci, comme je l'écrivais ci-dessus...