Il fait chaud, les glaçons sont au frais et on fait la grasse matinée.
Avant de se lever, il est encore temps de se raconter une petite histoire, histoire de prendre son pied...
Mon pied gauche…
C’est celui où le gros orteil est à droite…
Mon pied s’est levé ce matin avec une drôle de mine.
Le gauche bien entendu. L’autre met toujours un peu de temps avant de se décider.
Le lève-tôt avait quelque chose à me demander.
D’habitude, c’est pour exiger une chaussette car il est plutôt frileux. Mais là, visiblement, il s’agissait d’autre chose.
Cela vous étonne ? Vous n’avez jamais parlé avec vos pieds ?
Pourtant, c’est plein d’enseignements une conversation avec le gros orteil ou le talon. Bien entendu, chacun a ses priorités.
La cheville a souvent le stress de ceux qui manquent d’assurance avant de monter un escalier. Il est vrai qu’on lui demande beaucoup.
Le talon ne pense qu’à faire des trous dans sa chaussette, ça l’occupe.
Le pied a donc beaucoup de travail pour gérer tout son petit monde et écouter ce que chacun lui dit.
Mais là, c’est lui qui avait quelque chose à me dire. En tout cas, le gauche.
- Ce matin, cher maître, je voudrais prendre l’air, me lança-t-il en me fixant avec son gros orteil.
Il faut toujours prendre son pied au sérieux, surtout quand il vous adresse la parole. Je l’ai regardé et écouté.
Le ton était ferme. S’exprimer ainsi dès le réveil avait de quoi me surprendre. D’habitude, c’était plutôt des mots pâteux comme les miens. Histoire d’émerger doucement et sans violence pour aborder une nouvelle journée pleine d’imprévus.
Là, manifestement c’était clair et fort 5/5.
- D’accord, on va voir ça, lui ai-je répondu d’un air décontracté.
- Il n’y a rien à voir, je veux prendre l’air, me renvoya-t-il du tac au tac.
Là, vous comprenez, l’affaire devenait délicate. Un pied qui vous répond du tac au tac avec une voix autoritaire c’est le coup de poing dans le plexus. Et un plexus le matin au réveil, il n’aime pas du tout.
Dire que j’allais commencer à rassurer mon plexus n’a aucun sens. Le gros orteil pointé dans ma direction occupait toutes mes pensées.
Vous avez déjà été fixé par un gros orteil ?
Non ! Eh bien, vous avez de la chance car c’est impressionnant d’être dans la ligne de mire de ce doigt de pied.
On sent qu’il vous jauge et scrute vos paupières.
Il faut rester calme et maître de ses émotions. On a vite fait de dénigrer son ongle mal coupé ou sa forme rebondie et inesthétique.
Cela m’arrive de temps en temps et je le regrette, car la rétorsion d’un gros orteil est terrible. Il s’excite, s’échauffe et cela finit par une ampoule !
Je suis donc resté calme et pensif.
Mon pied voulait « prendre l’air », il fallait trouver une solution.
C’est alors que le droit - le pied droit -, s’est mis à gigoter frénétiquement. Et, après s’être dressé au niveau du gauche - du pied gauche -, il m’a lancé à haute voix :
- Pas question d’attraper un refroidissement !
Et là, vous n’allez pas me croire, j’ai eu droit à une joute oratoire digne d’un congrès de canards en quête d’accouplements.
Le gauche rétorquait violemment au droit et, bien entendu, ils en sont arrivés à se tordre mutuellement le petit doigt. Il ne me restait qu’une solution : me lever.
C’est ce que j’ai fait, en sautant brutalement du lit, pour retomber sur mes deux pieds qui poussèrent un gémissement synchronisé.
Ayant repris une position qui se voulait au-dessus de la mêlée, je leur ai fait comprendre que la plaisanterie avait assez duré.
Il faut savoir faire preuve d’autorité.
Prendre l’air à gauche, ne pas prendre l’air à droite : c’est simple !
J’ai enfilé ma chaussette droite.
La gauche est restée sur la chaise…
"
En passant... je me suis arrêté quelques secondes" Editions Douro