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 Parachutés sus à l’oxyde de deutérium…

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Paracolo
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Paracolo


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Date d'inscription : 08/03/2009

Parachutés sus à l’oxyde de deutérium… Empty
MessageSujet: Parachutés sus à l’oxyde de deutérium…   Parachutés sus à l’oxyde de deutérium… Icon_minitimeDim 4 Nov 2018 - 14:32

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Parachutés sus à l’oxyde de deutérium…



Le 2 août 1939, dans une lettre adressée au président Franklin D. Roosevelt, Albert Einstein déclarait :

« Au cours des quatre derniers mois il est devenu fort probable, à partir du travail de [Frédéric] Joliot-Curie en France, aussi bien que de [Enrico] Fermi et [Léo] Szilard en Amérique, qu’il puisse être possible d’établir une réaction nucléaire en chaîne dans une grande masse d’uranium, à partir de laquelle de très importantes quantités d’énergie et un grand nombre d’éléments analogues au radium seraient créés. Maintenant il apparaît comme à peu près certain que cela pourrait être accompli dans le futur très proche.
« Ce nouveau phénomène pourrait aussi mener à la construction de bombes, et on peut concevoir - bien que ce soit un peu moins certain - que des bombes excessivement puissantes d’un type nouveau soient ainsi construites, une seule bombe de ce type, transportée par bateau et explosant dans un port, peut détruire aussi bien la totalité du port qu’une partie du territoire environnant. Cependant, de telles bombes risquent de s’avérer trop lourdes pour être transportées par avion*. »
* Charles-Noël Martin, L’Heure H a-t-elle sonné pour le monde?, Paris. Grasset, 1955.

Pour la première fois, il est fait allusion à la bombe atomique et, au cours des deux années qui vont suivre, la discussion sur la signification et la portée de cette découverte va s’emparer des milieux scientifiques britanniques et américains.

Les physiciens de l’atome saisissaient clairement les implications d’une telle arme et beaucoup d’entre eux espéraient secrètement que la guerre ferait obstacle à sa réalisation. Mais ces maigres espoirs firent place à une vive inquiétude lorsque, en 1942 et 1943, ils comprirent que la construction de la bombe atomique n’était pas seulement possible mais hautement probable.

Enfin, quand la supériorité des Allemands en physique nucléaire ne fit plus l’ombre d’un doute, les savants atomistes furent pris de panique à l’idée des conséquences que pourrait avoir une telle force de destruction entre les mains de Hitler.


Tandis que les savants alliés déployaient des efforts gigantesques pour rattraper les Allemands dans la course à la bombe, il fut décidé qu’une mission secrète serait chargée de détruire le potentiel nucléaire de l’Allemagne.

Dans la nuit du 17 juin 1942, Winston Churchill quittait la Grande-Bretagne. Il se rendait à Hyde Park, dans l’État de New York, où, en compagnie du président Franklin D. Roosevelt, allaient être prises les ultimes décisions concernant les opérations alliées pour 1942 et 1943.

« Un autre sujet me préoccupait aussi beaucoup », déclare Churchill dans Le Tournant du Destin*. « C’était la question de la “ Tube Alloys ”, notre nom de code pour ce qui devait devenir par la suite la bombe atomique. »
* Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre Mondiale, IV, Le tournant du destin, Plon 1951

Les recherches et les expériences britanniques étaient arrivées à un point où il fallait conclure des accords précis sur l’énergie nucléaire avec les États-Unis ; et seules des discussions personnelles entre Churchill et Roosevelt permettraient d’y parvenir.

Tous les plus grands physiciens estimaient qu’il était possible de libérer de l’énergie par la fission de l’atome ; en outre, si cette fission pouvait être réalisée à grande échelle et dans des conditions idéales, il fallait envisager la mise au point d’une arme nucléaire dont l’utilisation serait décisive.
En fait, aux États-Unis, toutes les recherches sur l’uranium qui ne relevaient pas des autorités militaires avaient été interrompues pour permettre de concentrer tous les efforts en vue de la construction d’une telle arme.

La nécessité d’une rencontre Churchill-Roosevelt devenait d’autant plus pressante qu’en décembre 1938, en Allemagne, une expérience originale, dirigée par le physicien allemand Otto Hahn, avait permis de découvrir la fission de l’atome. Sachant que les Allemands poursuivaient leurs expériences, on pouvait penser qu’ils étaient à deux doigts de construire une pile atomique provoquant une réaction en chaîne auto-entretenue. Dans les mois qui suivirent, les physiciens du monde entier firent savoir à leur gouvernement respectif que la découverte de Hahn risquait d’aboutir à une production d’énergie et d’explosifs jusqu’alors inconnus.
Enfin, en 1939, on apprenait une nouvelle plus inquiétante encore : l’Allemagne avait brusquement interrompu toutes les exportations de minerai d’uranium de la Tchécoslovaquie occupée.

Cependant, les physiciens britanniques et américains ignoraient pratiquement tout du développement des recherches de l’Allemagne, et le peu qu’ils en savaient était immanquablement interprété en faveur des nazis.
A moins que les services de renseignements alliés n’apportent la preuve du contraire, il fallait donc supposer que les meilleurs savants et ingénieurs allemands travaillaient pour la recherche atomique avec l’appui total de leur gouvernement et de l’industrie qu’ils contrôlaient…

Le jour suivant, la discussion s’ouvrit sur l’un des sujets « les plus complexes et, l’expérience devait le prouver, de beaucoup le plus important » - celui de la bombe atomique.
Trois jours auparavant, Roosevelt avait reçu un rapport détaillé du Dr Vannevar Bush, le directeur du Bureau de la recherche et du développement scientifiques, l’informant de l’état du projet américain sur l’énergie atomique. Bush y envisageait la possibilité de construire une arme nucléaire dans des délais suffisamment brefs pour influencer l’issue de la guerre contre le IIIe Reich.

On estimait que les Allemands étaient en avance sur les Anglais et les Américains, mais, à aucun prix, on ne devait leur laisser l’initiative du recours à l’arme nucléaire.
Quant à Churchill, il était tenu au courant des progrès de la recherche nucléaire par son conseiller scientifique, Lord Cherwell. « En Angleterre, ainsi qu’aux États-Unis et, probablement, en Allemagne, de grands efforts ont été accomplis en vue de la construction de cet explosif à grande puissance », déclarait Cherwell dans son rapport. « Il semble que, d’ici deux ans, nous pourrons disposer de bombes opérationnelles. »

D’après Lord Cherwell, on pouvait envisager de transporter par avion une bombe atomique pesant à peu près une tonne et dont l’explosion aurait une puissance égale à deux mille tonnes de T.N.T. « Les gens qui s’efforcent de résoudre ces problèmes estiment à dix contre une les chances de réussite dans un délai de deux ans. Pour ma part, je ne parierais pas à deux contre un. Mais il ne fait aucun doute que nous devons aller de l’avant. Il serait impardonnable de laisser prendre aux Allemands une avance qui leur permettrait de nous battre ou même de renverser la situation en leur faveur. »


Bien que Churchill fût « satisfait des explosifs existants », il estimait qu’il ne fallait pas « s’arrêter dans la voie du progrès ». Sur ce point, Roosevelt était absolument d’accord avec lui.
« Nous sentions parfaitement tous deux combien il eût été dangereux de ne rien faire, écrit Churchill*. Nous savions quels efforts les Allemands accomplissaient pour se procurer de l’ “ eau lourde ”, terme sinistre, étrange, monstrueux, qui commençait à se glisser dans nos documents secrets. Que se passerait-il si l’ennemi construisait une bombe atomique avant nous ? Quelque scepticisme que l’on pût éprouver au sujet des affirmations des savants, d’ailleurs très controversées dans leur propre milieu et formulées dans un jargon incompréhensible pour les profanes, nous ne pouvions courir le risque de nous laisser devancer dans cet effroyable domaine. »
* Churchill, Mémoires sur la Deuxième Guerre Mondiale, IV, Le tournant du destin, Plon 1951


Pour les physiciens du monde entier, « l’eau lourde », plus qu’un terme sinistre, était une expression servant à désigner une substance employée dans la recherche atomique. Elle revêtait une importance capitale pour l’Angleterre, les États-Unis et l’Allemagne nazie parce que l’on avait découvert qu’il s’agissait d’un modérateur particulièrement efficace permettant de ralentir les neutrons d’une pile atomique.

Ralentissant ainsi les neutrons produits par la fission - sans pour autant les capturer -, l’eau lourde, pensait-on, rendrait les neutrons plus aptes à provoquer, dans la pile, la fission des atomes d’uranium 235*. Cela permettrait de produire plus de neutrons puis, de nouvelles fissions, jusqu’à ce que la réaction soit auto-entretenue. C’est là que résidait la possibilité de construire une bombe atomique.
*Rappelons ici, nos membres n’étant pas tous physiciens ou chimistes, que l’uranium-235 est fissile alors que l’uranium-238 qui capture des neutrons sans fission, mais produit du plutonium-239 est dit fertile, car il produit des produits fissiles.
Ainsi une, par exemple, une pile fonctionnant à l’eau lourde n’aura pas besoin d’uranium enrichi.
L’eau dite « lourde » Oxyde de deutérium (D2O)
Par son apparence et son comportement chimique, l’eau lourde ne se distingue pas de l’eau ordinaire ; mais comme il s’agit du composé de l’oxygène avec un isotope de masse 2 de l’hydrogène, elle pèse approximativement dix pour cent de plus que l’eau ordinaire (densité 1,06).
Dans l’eau lourde, les atomes d’hydrogène sont composés de deutérium — l’isotope d’hydrogène dont le noyau renferme un proton et un neutron au lieu d’un seul proton.
L’eau lourde se trouve en quantités infimes dans l’eau ordinaire, et il est extrêmement difficile, long et coûteux de l’en extraire. A l’époque, une seule usine hydro-électrique au monde était en mesure de fabriquer de l’eau lourde en quantités importantes : l’usine de la Norsk Hydro Hydrogen Electrolysis de Vemork, en Norvège.
En février 1940, sur ordre du président du Conseil et ministre de la Défense Édouard Daladier, une mission secrète menée par Jacques Allier est envoyée en Norvège afin de récupérer la totalité du stock mondial d'eau lourde, soit 185 kg.
Début mars 1940, le directeur de Norsk Hydro accepte de mettre gratuitement à la disposition de la France l'intégralité du stock convoité par l'Allemagne nazie. Les services secrets français exfiltreront, un mois avant l'invasion de la Norvège, les 26 bidons d'eau lourde vers la France.
Mais revenons à notre récit…



Grâce aux rapports fournis par les agents de renseignements alliés, Churchill et Roosevelt n’ignoraient pas que l’Allemagne avait, par deux fois, demandé à la Norsk Hydro d’augmenter sa production d’eau lourde. En mai 1940, juste après la chute de la Norvège, l’Allemagne avait ordonné à la Norsk Hydro de porter sa production d’eau lourde à une tonne et demie par an ; en février 1942, on apprenait que Hitler avait exigé une nouvelle augmentation : la Norsk Hydro fournirait cinq tonnes d’eau lourde par an.

Dans la mesure où les nazis avaient déjà mis l’embargo sur les exportations de minerai d’uranium de Tchécoslovaquie, et sachant que les physiciens américains et anglais étaient d’accord pour affirmer qu’il serait possible d’obtenir une réaction en chaîne auto-entretenue grâce à des quantités suffisantes d’uranium et d’eau lourde, Churchill et Roosevelt devaient se rendre à l’évidence : ils étaient engagés dans une course pour la possession d’une arme suffisamment puissante pour déterminer le destin du « monde libre ».

D’une manière générale, Churchill et Roosevelt reconnaissaient que la Grande-Bretagne et les États-Unis devaient mettre leurs informations en commun et concentrer les travaux de leurs savants aux États-Unis et au Canada.
Dans la mesure où il était impossible de s’approvisionner en grandes quantités d’eau lourde, les États-Unis allaient mettre en chantier une pile composée d’uranium et de graphite - ce dernier servant de modérateur - et non une pile faisant intervenir l’eau lourde. Entre-temps, une usine d’eau lourde serait construite en Colombie britannique pour le cas où l’emploi du graphite comme modérateur s’avérerait impossible.

Aux États-Unis, la direction du programme nucléaire, appelé « Manhattan Project », était confiée au général Leslie R. Groves.
« En général, écrira Groves, on mésestimait l’importance du projet. On n’imaginait pas qu’il entraînerait des dépenses s’élevant à plusieurs milliards de dollars. Par la suite, on reconnaîtra que personne, en temps normal, n’aurait accepté de courir les risques que nous avons pris à cette époque. Plus tard, le fait d’aller de l’avant dans des domaines spécialisés malgré les lacunes de nos connaissances fondamentales, deviendra une pratique courante. Toute autre considération, qu’il s’agisse du progrès des sciences ou du maintien de bonnes relations diplomatiques avec d’autres puissances, était subordonnée à la réalisation du but unique fixé par le projet. Il n’est certes pas bon d’agir avec précipitation ; cependant, tout le monde reconnaîtra qu’il s’agissait alors de faire vite. »
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Dans le même temps, il devenait indispensable de porter un coup d’arrêt au projet allemand ; et là aussi, il fallait agir rapidement et prendre des risques, pour tenter de combler par tous les moyens le retard des Alliés, estimé à deux ans.

L’Allemagne avait absolument besoin de l’eau lourde pour réaliser son programme nucléaire. Il s’agissait donc pour les Alliés de couper à sa source l’approvisionnement de cette substance, c’est-à-dire à l’usine de la Norsk Hydro de Vemork. C’était le seul moyen de rattraper le temps perdu dans la course à la bombe.

En septembre 1941, le Professeur Leif Tronstad, de l’Institut norvégien de technologie de Trondheim, était arrivé en Angleterre par la Suède…
C’était lui qui, après avoir établi les plans de l’usine d’eau lourde de Vemork, en avait supervisé la construction.

Tronstad, après l’occupation de son pays, s’enrôla dans les services secrets et, depuis sa base de l’Institut de Trondheim, il fît régulièrement parvenir une quantité importante de renseignements aux autorités britanniques et aux services norvégiens installés en Angleterre. C’est par son ami Jomar Brun, le directeur de l’usine de Vemork, qu’il fut mis au courant de l’intérêt que portaient les Allemands à la production d’eau lourde de la Norsk Hydro - renseignement qu’il transmit immédiatement à Londres.

Un jour, un exemplaire de ses nombreux rapports tomba entre les mains du commandant Eric Welch, le responsable des services de renseignements britanniques, qui demanda à un savant attaché à ses services : « Mais bon sang, qu’est- ce que c’est que ce truc qu’on appelle “ eau lourde ”? »
Dès que le savant eut expliqué les graves implications du rapport de Tronstad, Welch expédia un message demandant des précisions sur la production actuelle de la Norsk Hydro, ses projets d’expansion et le rendement qu’on en espérait dans l’avenir.
Quel ne fut pas l’étonnement de Welch lorsque, quelques jours plus tard, Tronstad - dont le patriotisme passait avant ses activités d’espionnage - lui fit savoir que non seulement il refusait de fournir les renseignements demandés, mais qu’il voulait aussi savoir si les Impérial Chemical Industries - concurrent britannique de la Norsk Hydro en temps de paix - ne se trouvaient pas à l’origine de l’enquête.


Quelques mois plus tard, comme dit plus haut, en septembre 1941, Tronstad dut quitter la Norvège, les Allemands étant sur le point de découvrir ses activités clandestines.
En arrivant en Angleterre il rencontra presque immédiatement le commandant Welch.

Welch se rendit vite compte que Tronstad pouvait être très important pour les objectifs des Alliés en Norvège. Cet homme connaissait parfaitement la zone de l’usine et parlait l’anglais couramment. En outre, il s’était déjà distingué par ses activités clandestines à Trondheim et bénéficiait d’une certaine notoriété dans les milieux scientifiques anglais et américains affectés alors à l’effort de guerre allié. Enfin, son ami et collègue le Dr Jomar Brun - avec qui il avait collaboré à la réalisation de l’usine d’eau lourde qui tenait aujourd’hui une place si importante dans la course à la bombe atomique - était toujours responsable de la production de l’usine. Brun n’hésiterait pas à lui fournir les renseignements dont Londres avait tant besoin …

Quelques mois avant la rencontre historique entre Churchill et Roosevelt à Hyde Park, Tronstad fut nommé responsable de la IVe section du haut commandement norvégien à Londres chargé du renseignement, de l’espionnage et du sabotage. Les craintes que nourrissait Churchill à propos des efforts de l’Allemagne pour se procurer de l’eau lourde reposaient essentiellement sur des informations obtenues par Tronstad auprès de Brun.

En Angleterre, les opérations secrètes étaient alors confiées à deux organisations distinctes : le S.I.S. (Secret Intelligence Service) dirigé par le commandant Eric Welch, du Naval Intelligence Department, et le S.O.E. (Spécial Operations Executive), contrôlé par Lord Selbome et le général de brigade Colin Gubbins, du ministère de la Guerre. Les agents formés par le S.I.S. avaient pour mission de retourner s’installer en Europe pour y glaner des renseignements. Le S.O.E. entraînait ses agents en vue des opérations de sabotage qui devaient être effectuées en Europe.

Afin de pouvoir fournir un flot ininterrompu de renseignements de premier ordre sur les navires de guerre, les sous-marins et les mouvements de troupes allemands, les agents du S.I.S. devaient veiller avant tout à leur sécurité.
Ces agents, devenus maîtres dans l’art d’évoluer discrètement dans le milieu où ils opéraient, ne portaient pas dans leur cœur les membres du S.O.E., hommes d’action qui se rendaient dans de grands ports comme Bergen pour y saboter de petits navires de commerce ou des installations portuaires. Ce genre d’actions provoquait inévitablement un déploiement de forces de la Gestapo et menaçait du même coup les agents du S.I.S.

Une des plus importantes contributions de Leif Tronstad à l’effort de guerre allié réside dans le fait qu’il parvint à résorber les antagonismes existant entre les agents du S.I.S. et ceux du S.O.E. opérant en Norvège. Il s’entendait aussi bien avec le colonel John S. (« Jack ») Wilson, le chef de la section norvégienne du S.O.E., qu’avec le commandant Welch, du S.I.S.
En fait, il était considéré comme le meilleur ambassadeur de la Norvège pendant la guerre, et son arrivée à Londres, en octobre 1941, ne pouvait mieux tomber. D’une part, les agents du S.O.E. devaient saboter à tout prix l’usine d’eau lourde de Vemork ; d’autre part, les agents du S.I.S. avaient pour mission impérative de collecter des renseignements sur l’usine. Les uns et les autres s’avéraient nécessaires à la bonne marche de l’opération.
Et personne ne le savait mieux que Tronstad, cet intellectuel qui pouvait évaluer en quelques minutes l’importance des renseignements fournis par un agent norvégien du S.I.S. Mais aussi ce sportif qui trouvait un certain plaisir à participer activement aux exercices de sabotage et de parachutage des agents du S.O.E. appelés à opérer en Norvège.

Il s’agissait de savoir comment on allait s’y prendre pour réduire à néant les capacités de production de l’usine de Vemork. La salle de concentration de l’eau lourde était située dans les soubassements d’un bâtiment de béton et d’acier qui se dressait, tel un nid d’aigle, sur le versant d’une montagne escarpée. Il était pratiquement impossible de bombarder cette cible de nuit (le seul recours dont disposaient alors les Anglais) et l’issue d’une attaque par terre était pour le moins douteuse.

Tandis que, au plus haut niveau, on s’efforçait de résoudre ce problème, le besoin de nouveaux renseignements sur l’usine se faisait plus pressant. D’une manière ou d’une autre, il fallait établir un contact sûr et direct entre les agents norvégiens travaillant à l’usine et habitant le village voisin de Rjukan, et ceux qui étaient chargés de diriger l’attaque à partir de la Grande-Bretagne.

Vers la mi-mars 1942, le problème se trouva résolu grâce à six patriotes norvégiens - dont le responsable du S.O.E. en Norvège - qui débarquèrent subitement à Aberdeen, en Écosse, après s’être emparés d’un caboteur norvégien qu’ils avaient piloté à travers la mer du Nord.
Parmi eux se trouvait Einar Skinnarland, un jeune homme d’une vingtaine d’années. Il parlait couramment l’anglais, était un champion de ski et savait en outre manipuler un poste émetteur. Il avait eu des contacts avec le service des transmissions du haut commandement de l’organisation militaire de la Résistance (Milorg) d’Oslo. Mais surtout, il venait de Rjukan, où il avait été chargé de diriger la construction du barrage de retenue du lac Môs, à quelques kilomètres seulement de Vemork. D’autre part, il connaissait plusieurs techniciens de l’usine d’eau lourde, et ses talents de skieur lui avaient permis d’acquérir une connaissance parfaite des montagnes environnantes où il s’était lié d’amitié avec les fermiers qui s’efforçaient de survivre dans cette contrée désolée.
Einar Skinnarland était tout désigné pour établir un contact sûr et précis entre Vemork et Londres. Il accepta de suivre l’entraînement du S.O.E., à l’issue duquel il serait parachuté en Norvège. S’il retournait à temps à son travail, prétextant « une randonnée à skis » son absence ne serait pas remarquée.

Au printemps 1942, peu après le retour de Skinnarland en Norvège, Tronstad déclarait, dans sa première lettre à Jomar Brun : « Notre jus est très important. » (Le « jus », c’était l’eau lourde.) Tronstad, qui signait ses lettres « Mikkel » (« renard », en norvégien), désirait être tenu au courant de la production de l’usine et du rythme d’acheminement de l’eau lourde vers l’Allemagne ; il voulait aussi savoir pourquoi les Allemands le pressaient d’augmenter la production.

Dans une lettre postérieure, où il insistait sur la priorité du problème de l’eau lourde, Tronstad demandait à Brun « s’il était possible d’envisager le transport en Angleterre d’une grande partie de l’eau lourde de Vemork ». Dans sa réponse, Brun affirmait qu’une telle entreprise se révélait pratiquement irréalisable, cependant, si l’on parvenait à faire atterrir un avion anglais sur l’un des lacs gelés des montagnes entourant Vemork, Brun s’engageait « à transporter le jus de l’usine à l’avion, avec l’aide de quelques patriotes norvégiens ». Il désignait à cet effet le lac Saheimbotn parce que, d’une part, il était assez long pour permettre un atterrissage et, d’autre pari, l’usine et ce lac se trouvaient sur le même versant d’une gorge profonde où coulait la Mâne.

Cette idée fut abandonnée et, tandis que Londres étudiait d’autres projets, Brun entreprenait des actions de sabotage. Il s’attaqua à la production de l’eau lourde en « ajoutant de l’huile de ricin à l’électrolyte », ce qui provoqua la formation d’une écume épaisse dans le système de fabrication. Sans pour autant détruire l’eau lourde, ce procédé permit d’interrompre sa production pendant des heures, et parfois des jours entiers. L’augmentation de la production, prévue par les Allemands après la construction de neuf cuves de concentration supplémentaires, fut par conséquent « très minime ».

Brun ignorait alors que d’autres Norvégiens travaillant à l’usine versaient de l’huile de foie de morue dans les cuves à haute concentration. Afin d’éviter les soupçons, Brun se vit même obligé de « donner des ordres pour éliminer l’écume et la mousse » qui paralysaient le système d’eau lourde. Cependant, le sabotage se poursuivit aussi longtemps qu’il resta à l’usine.
Brun parvint aussi à obtenir des photographies et des plans de l’usine qui, réduits à l’état de microfilms par un ami et dissimulés dans des tubes de dentifrice, furent acheminés à Londres via la Suède.

Lors de sa rencontre avec Roosevelt en juin 1942, Churchill n’ignorait rien de ces renseignements d’importance et, dès son retour, il fut décidé que l’usine de la Norsk Hydro serait un objectif de sabotage prioritaire. En juillet, le ministère de la Guerre britannique fit savoir au commandement des Opérations combinées qu’il était impérieux de détruire les stocks d’eau lourde, les installations nécessaires à sa production, ainsi que la centrale d’énergie située à l’arrière de l’usine.

Il fallait faire vite, et dans la précipitation qui présida aux décisions on mit au point un plan pour le moins aventureux. Un commando de trente-quatre hommes de la 1re division aéroportée devait embarquer à bord de deux planeurs Horsa remorqués par des bombardiers Halifax. Il gagnerait ainsi le plateau de Hardanger, une immense zone désertique située au nord-ouest de Rjukan. Une fois en vue du plateau, les bombardiers abandonneraient les planeurs qui, chargés de troupes, d’explosifs, de revolvers et de bicyclettes pliantes, n’auraient plus qu’à atterrir sur la berge marécageuse du lac Môs, le plus grand des lacs du plateau, dont les eaux alimentaient les turbines de l’usine de Vemork.

La première équipe arrivée sur les lieux devrait attendre la seconde pendant une demi-heure ; si à l’issue de ce laps de temps la jonction ne s’était pas opérée, les équipes se verraient obligées d’agir chacune de son côté, suivant à bicyclette une route de montagne conduisant à l’objectif situé au nord de la gorge.
Arrivé au pont suspendu qui menait à l’entrée de l’usine, le commando devait tuer les gardes aussi discrètement que possible, pénétrer dans les bâtiments et détruire en priorité les installations et les stocks d’eau lourde. Il lui faudrait ensuite se séparer en petits groupes de trois hommes et fuir en direction de la Suède. Les agents blessés recevraient une injection de morphine et seraient abandonnés sur le bas-côté de la route, après avoir été délestés de leurs cartes d’état-major.
L’eau lourde concentrée était conservée dans de petits flacons en acier de 200 centimètres cube, et il fallait, si possible, en rapporter quelques-uns.

Une équipe de reconnaissance composée de quatre Norvégiens serait parachutée quelques semaines avant l’attaque. Elle aurait pour tâche de reconnaître les lieux, notamment les voies d’accès à l’usine, et d’évaluer les forces adverses, en particulier les gardes affectés à la sécurité des bâtiments. Il lui faudrait encore fournir des rapports sur les conditions météorologiques prévues pour la date de l’attaque, à savoir, la pleine lune de novembre. Elle était chargée de guider l’opération aérienne d’une part, en utilisant son matériel de guidage et, d’autre part, en balisant la piste d’atterrissage, enfin, c’est elle qui conduirait les troupes à l’usine après avoir coupé toutes les lignes téléphoniques situées dans le périmètre de l’attaque.


Lorsque les Opérations combinées firent parvenir ce projet au S.O.E., la section norvégienne s’y opposa en déclarant qu’il était mal conçu et qu’il présentait de gros risques d’échec à chacune de ses phases. Wilson et Tronstad firent ressortir les points suivants :

1. La Norvège est le pays qui se prête le moins à l’intervention des planeurs, rares sont ses terrains d’atterrissage ; ses montagnes sont nombreuses, escarpées et hostiles. Son paysage accidenté, constitué par un agrégat de lacs, de collines, de fondrières, de blocs erratiques, de marais et de marécages, provoque des poches d’air et des courants atmosphériques.
2. Jamais, même en plein jour, on n’a tenté de remorquer des planeurs sur plus de six cent cinquante kilomètres.
3. Le succès de l’opération exige des conditions météorologiques extrêmement favorables au-dessus du plateau de Hardanger. Or, en hiver, le cas se présente rarement et c’est à peine s’il est possible de faire de quelconques prévisions.
4. Le plateau est connu pour ses brusques courants d’air ascendants et descendants qui ne pourraient que faire capoter un planeur Horsa.
5. Il serait pratiquement impossible de localiser le terrain d’atterrissage si des nuages cachaient la lune ou si - phénomène plus que probable à une telle altitude - l’on rencontrait une couche basse de nuages.
6. L’atterrissage de nuit d’un avion fragile dans une zone connue pour ses crevasses, ses crêtes et ses éboulements de roches serait pour le moins hasardeux.
7. Bien que la plupart des lacs du plateau de Hardanger soient gelés en novembre, la couche de glace ne sera cependant pas assez épaisse pour résister au poids d’un planeur Horsa lourdement chargé.
8. Les bicyclettes pliantes ne seront d’aucune utilité si la neige a fait son apparition ou encore si la route conduisant du plateau à l’usine de Vemork est recouverte de verglas - ce qui est pour le moins probable à cette période de l’année.
9. Après l’attaque, le commando devra parcourir près de six cent cinquante kilomètres pour atteindre la frontière suédoise — et cela dans des conditions météorologiques auxquelles ces hommes ne sont pas habitués.


Entre-temps le général Leslie R. Groves avait insisté pour que l’on bombarde l’usine de Vemork ou, si cela s’avérait impossible, pour qu’on la sabote par voie de terre. Quant au ministère de la Guerre britannique, il avait donné priorité à la destruction des capacités de production d’eau lourde de l’usine.
Tronstad était radicalement opposé au bombardement. II faisait remarquer que Rjukan - qui, à elle seule, approvisionnait en électricité tout le sud de la Norvège - était située dans une vallée très profonde dont les pentes boisées s’élevaient jusqu’à mille mètres, pratiquement à pic au lit d’une étroite rivière.
« La vallée est si profonde, déclarait-il, que pendant tout l’hiver les rayons du soleil n’atteignent jamais les rues de Rjukan. Si par malheur une bombe devait toucher les réservoirs d’ammoniac liquéfié situés au creux de la vallée, toute la population de Rjukan serait en danger. »

Ainsi, sous la pression de Washington et du ministère de la Guerre britannique, les Opérations combinées écartèrent les objections formulées par le S.O.E. à propos d’une attaque de troupes aéroportées. L’opération « Freshman » — le nom de code de la mission de remorquage des planeurs — était déclenchée, comme nous allons le voir dans la suite du récit…

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MessageSujet: Re: Parachutés sus à l’oxyde de deutérium…   Parachutés sus à l’oxyde de deutérium… Icon_minitimeLun 5 Nov 2018 - 13:35

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Merci pour la leçon de physique nucléaire... j'y suis allergique d'ordinaire !

J'ai vu, avec intérêt, il y a des années de cela, un ou deux films sur cette "bataille de l'eau lourde.." romancés fort probablement.

Toutefois nous l'avons échappé belle, je dis nous, car si Hitler avait pu utiliser l'arme atomique, il est à craindre qu'il ne s'en serait pas privé et que cela aurait eu des répercussions immédiates sur la génération présente mais aussi sur celles à venir...

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MessageSujet: Re: Parachutés sus à l’oxyde de deutérium…   Parachutés sus à l’oxyde de deutérium… Icon_minitimeSam 27 Juin 2020 - 6:57

Sujet remarquable qui m’intéresse car j’ai un intérêt [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] concernant le développement du “gadget”, de son utilisation et des répercutions de son utilisation. Dommage qu’il n’y ai pas de suite.

Il y a une petite omission, Lise Meitner n’est pas cité, alors qu’elle fut la Co-decouvreuse avec Hahn de le fission nucleaire. Elle aurrait du partager le prix Nobel de chimie de 1944 qui a été remis Otto Hahn seul. Encore un de ces prix Nobel contreversés, il y en eu tellement.

Les travaux que  Meitner réalisa ensuite avec Otto Frisch furent essentiels dans la mise au point des bombes de type little boy ou fat man par les chercheurs de Los Alamos. Elle fut également la première à prouver expérimentalement le E=MC2 de Einstein.

L’histoire de Lise Meitner sous le régime Nazi et de ces découvertes avec Otto Frisch est un de ces [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] extraordinaire de la seconde guerre mondiale.


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Lise Meitner en 1906
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