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Un récit de l’affaire de Senecey-le-Grand, écrit par un des trois rescapés, le caporal Beaude Alexis, Jeep 4, et publié dans le
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Récit écrit en 1947 et qui diffère sensiblement de ce que l’on peut lire ici et là.
Pour le titrer, je reprendrai celui donné par La Tribune du 14 janvier 45 :
L'héroïque équipée des quatre jeeps à l'assaut de Sennecey-le-Grand.
Nous étions cantonnés dans un petit château à Tallent, car tous les jours nous allions faire dos embuscades et prêtions main-forte aux autres sticks du lieutenant Colcombet.
Le 4 septembre, à deux heures du matin, le lieutenant de Roquebrune nous rassembla et nous dit qu'au petit jour nous irions attaquer Sennecey-le-Grand. Il y aurait avec nous trois cents F.F.I. Vers quatre heures du matin, nous partions de Tallent, avec nos quatre « Jeeps », dans la direction de Corlay, où il y avait tout L’état-major F.F.I. Le café nous fut offert, et nous prîmes deux parachutistes. Barkatz et Lombardo du stick du lieutenant Zermati, car il nous manquait des mitrailleuses sur les « Jeeps » ainsi qu'un F.F.I. servant de guide.
Vers six heures et demie, au lever du jour, nous foncions; les F.F.I. étaient déjà installés aux alentours de Sennecey. Nous sommes passés par Saint-Julien avant de rentrer à Sennecey ; l'ennemi nous attendait dans le cimetière, où tout de suite nous avons eu trois morts : Barkatz. Lombardo et le F.F.I. Nous sommes rentrés dans Sennecey en mitraillant tout sur notre passage. Les Boches se sauvaient comme des lapins. Nous sommes arrivés sur la route nationale; là nous nous sommes trouvés face à face avec un convoi boche que nous avons mitraillé à bout portant. Nous avons fait un véritable carnage. Les Boches se rendaient et même ils montaient sur nos « Jeeps », mais nous avions ordre de ne pas faire de prisonniers et nous étions obligés de les jeter en bas de nos voitures, et de les mitrailler à bout portant. A ce moment-là nous avions déjà perdu deux voitures, celle du lieutenant de Roquebrune et celle de l'adjudant-chef Benhamou. Nous ne possédions plus que les voitures du sous-lieutenant Aubert Stribi et la nôtre, commandée par le sergent-chef Tramonie, La première « Jeep » avait deux roues crevées .la roue avant droite et la roue arrière gauche.
A ce moment, une rafale partie des rangs de vignes qui bordaient la route toucha notre chauffeur Bayeux à l'épaule, cependant que Tramonie était blessé par une balle explosive au même endroit. Je passais les chargeurs à Tramonie, car il ne pouvait plus se servir de son bras droit, quant à moi, j'avais une balle logée dans la cuisse.
Malgré cela nous retournions dans Sennecey, mais les Boches, le premier moment de stupeur passé, s'étaient ressaisis. Ils avaient installé dans les jardins des canons anti tanks.
La voiture de Aubert Stribi marchait devant la nôtre. Tout à coup je la vis sauter, elle avait été touchée par un coup de canon A.T., elle fut complètement disloquée et Aubert Stribi fut projeté en l'air. Il retomba sur ses pieds ; ne perdant pas le nord à cette occasion, il sortit son « Colt » et se mit à tirer dans la mêlée. Il fut abattu quand il allait rentrer dans une maison.
Nous cherchions par tous les moyens à sortir de ce traquenard; le F.F.I. qui devait nous servir de guide avait déjà été tué.
Finalement, je reconnus la petite ruelle par où nous étions rentrés. Notre chauffeur tourna comme un fou, mais les Boches étaient à la sortie du village. La voiture bondissait dans le tas, et Tramonie, de ses deux mitrailleuses Jumelées, ouvrit un feu nourri. Quant à moi, J'en profitais pour balancer à tour de bras des grenades dans les fossés, où les Boches s'étaient planqués.
C'est à ce passage que l'ennemi eut le plus de pertes.
Malgré cela, nous somme» arrivés à sortir du village. Il était d'ailleurs temps, nous étions complètement à court de munitions ; 5000 cartouches environ avaient été tirées, sans compter celles de nos mitraillettes et de nos « Colts ».
Nous arrivâmes à la hauteur du cimetière; notre voiture fut touchée à l'embrayage et nous nous vîmes dans l'obligation de l'abandonner et de nous sauver à travers les rangs des vignes. Nous partîmes alors jusqu'à Corlay, où les premiers soins nous furent donnés.
Une heure après, des renforts de parachutistes arrivèrent. Tous les sticks des environs avaient été prévenus. La R.A.F., prévenue aussi, venait mitrailler Sennecey. Une bagarre d'une rare violence sévit pendant tout le jour. Le soir, les chars de la IIe D.B. venaient en renfort. J'arrêtais alors un char et lui demandais de me prendre à bord. Les camarades me dirent de monter.
En arrivant à la hauteur de Sennecey, nous avons aperçu des grands brasiers qui illuminaient toute la campagne. Les Boches, vaincus, avaient tenu, avant leur départ à signer leurs méfaits en mettant le feu à plusieurs maisons. Mon premier soin fut, aussitôt que je le pus, de me renseigner sur le sort de mes camarades. Hélas !.., ils étaient tous morts ; leurs corps reposaient à la chapelle ardente. Je m'y rendis donc immédiatement, afin de reconnaître mes camarades de combat tombés en héros pour la libération de la France.
Liste des parachutistes morts pour la libération de Sennecey-le-Grand
Lieutenant Guillaume de Combaud Roquebrune ; sous-lieutenant Aubert Stribi ; sous-lieutenant Madeleine Jean-Marie ; adjudant-chef Benhamou Jacob, mort carbonisé ; sergent Djian Gilbert ; caporal-chef Pache Jean ; première classe Seiter Charles ; première classe Djian Lucien, mort carbonisé dans les bras de l'adjudant-chef Benhamou ; première classe Lombardo Roland ; première classe Barkatz.
Les trois rescapés et blessés, étaient :
Sergent-chef Tramonie ; première classe Bayeux ; caporal Beaude Alexis.
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L'héroïque équipée des quatre jeeps à l'assaut de Sennecey-le-Grand (S.-et-L.)
C'est sous ce titre qu'un journal local, La Tribune, publia le 14-1-45 le compte rendu suivant :
Le bourg de Sennecey-le-Grand a été, durant les dernières semaines qui préparaient la libération, un des points les plus exposés. C'est sa situation géographique qui lui valut l'honneur d'être le théâtre de combats et d'en recueillir les suites dangereuses.
Parmi tous les évènements qui se pressaient : attaques de convois par le maquis, destruction répétée des ponts et des communications téléphoniques, irruptions brutales des boches dans tes maisons, assassinats, incendies, le plus marquant et le plus étonnant fut la glorieuse équipée, de quatre jeeps.
Sur la fin d'août, le bruit se répandit, aux alentours, que des Américains étaient arrivés à Talent. On les avait vus. Ils avaient des voitures légères d'une grande puissance. Ils étaient rapides. D'Américains. Il n'y en eut pas à Talent. C'étaient de purs Français qui, en voitures américaines, étaient venus, rapides comme l'éclair et généreux de leur sang comme les héros de la chevalerie et nos sans-culottes de 1792. Ils étaient venus depuis la Normandie.
Une brave patriote, Mme Cournot, âgée de plus de 80 ans, les accueillit dans sa maison où, pour les quelques jours de leur campagne de Saône-et-Loire, ils installèrent leur quartier général.
Mme Cournot, dont le mari avait trouvé la mort comme officier pendant l’autre guerre, est connue pour son grand cœur qui opéra si généreusement pour les réfugiés de 1914-1918
On estime généralement que Sennecey, important relai (sic) sur la route de retraite allemande, était constamment tenu par des milliers d'Allemands qui s'y concentraient avant de repartir vers la prochaine étape. Puissamment armés d'armes automatiques, la rage au cœur d'être chassés et harcelés par l’armée française autrefois si méprisée et par le maquis insuffisamment pourvu pourtant d'armes, ils s'y refaisaient leur âme en terrorisant la population, si bien que ce fut l'exode de la majeure partie de celle-ci vers les villages environnants.
A cette supériorité écrasante, dix-neuf Français allaient s'attaquer. Passant par Corlay, leurs quatre jeeps foncent sur Saint-Julien, et de là, sur la route nationale a sa traversée de Sennecey. Crachant le feu de toutes leurs mitrailleuses, ils se démènent comme des diables. Pour les Boches, c'est la surprise totale. Par Viel-Moulin, les quatre voitures reprirent le chemin qui passe derrière les maisons et parmi les jardins, regagnant Saint-Julien. Les pertes avaient été minimes, un seul parmi les 19 fut tué.
Mais voici qu'est décidée une deuxième attaque. On repart en trombe. Mais, cette fois, les Allemands sont sur leurs gardes. Un feu terrible assaille les jeeps, puis elles sont attaquées de toutes parts, à coups de crosse, à coups de couteau. C'est un corps-à-corps écharné (sic). Un des rescapés a raconté depuis : « Les Boches étaient tellement fous de rage qu'ils sautaient sur nos voitures avec le couteau. Jamais je n'ai vu pareille rage. Moi-même j'ai perdu mon couteau dans le dos d'un Boche... »
Ils sont revenus trois, tous blessés.
Leur courage sublime, leur « furia francese », leur sacrifice suprême en ont fait des héros dont le souvenir ne s'effacera jamais. Venus pour venger les milliers de victimes de la barbarie nazie, ils ont mélangé leur sang avec le leur, et la journée du 4 septembre associera toujours le commun sacrifice des habitants de Laives, sauvagement assassinés, des vaillants F.F.I. morts ce jour-là, et des parachutistes de l’héroïque équipée.
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