Bonjour,
Un peu de lecture...
L’OPÉRATION MARKET GARDEN
LE PLUS GRAND ENGAGEMENT AÉROPORTÉ DE TOUS LES TEMPS
par le chef de bataillon d’ANSELME
Division des études et de la prospective de l’ETAP
A l’été 1944, l’écroulement de l’Allemagne semblait imminent et ses troupes se repliaient partout. Emportés par leur élan victorieux, les alliés envisageaient déjà la possibilité d’une fin rapide de la Seconde Guerre mondiale. Le maréchal Montgomery, commandant le 21° groupe d’armées anglo-canadien, souhaitait déclencher une offensive générale vers le Nord, libérant la Belgique et la Hollande et permettant d’atteindre directement la Ruhr, cœur industriel de l’Allemagne. Il reçut le feu vert du commandant en chef allié, le général Einsenhower, et s’empara, le 4 septembre 1944, de Bruxelles et d’Anvers. Il conçut alors un plan audacieux : Market Garden. L’opération se déroula, du 17 au 30 septembre 1944, d’Eindhoven à Arnhem à l’est de la Hollande. Elle restera l’opération la plus dramatique et, sans aucun doute, la plus importante de l’histoire des parachutistes.
1 - MARKET ET GARDENLe plan de l’opération fut arrêté le 9 septembre 1944. Le but essentiel de cette offensive était de franchir le Rhin en force et de déboucher en Allemagne par les grandes plaines du Nord après avoir contourné les défenses de la ligne Siegfried.
L’opération Market consistait à "dérouler un tapis" de troupes aéroportées pour s’emparer des points de passage sur les canaux et cours d’eau importants. Ceux-ci se trouvaient dans le couloir de progression de la IIe Armée britannique, d’Eindhoven à Arnhem, soit une profondeur de cent trente kilomètres.
L’opération Garden devait faire avancer, dans le couloir ainsi ouvert, le XXXe corps blindé du général Horrocks, fer de lance de la IIe Armée britannique du général Dempsey, pour foncer vers le Rhin et atteindre le Zuyderzee.
Le haut commandement allié avait mis sur pied la 1ère Armée aéroportée alliée, aux ordres du général américain Brereton. Demeuré inactif en Grande-Bretagne, cet outil comprenait de grandes unités terrestres et aériennes :
• Corps aéroporté britannique : 1ère division aéroportée, 52e division aéroportée, 1ère brigade parachutiste polonaise ;
• XVIIIe corps aéroporté américain : 82e et 101e divisions aéroportées ;
• 9e commandement de transport aérien américain ;
• 38e et 46e groupements de transport aérien britannique.
2 – LES FORCES EN PRESENCE
Les unités retenues furent la 82e division aéroportée américaine du général Gavin, la 101e division aéroportée américaine du général Taylor, la 1ère division aéroportée britannique du général Urquhart, renforcée de la brigade parachutiste polonaise du général Sosabowski. Ces troupes étaient, pour la plupart, composées de vétérans d’Afrique du Nord, de Sicile et de Normandie. Le haut commandement allié avait tenu à engager ces unités d’élite car la mission était difficile et pouvait, par une action décisive, abréger le cours de la guerre.
Les objectifs respectifs furent rapidement fixés :
• La 101e division, au sud, devait opérer au nord d’Eindhoven et s’emparer des ponts du canal Wilhelmine et de Veghel, sur le canal Zuid Wilems.
• La 82e division, au centre, avait reçu pour mission de s’emparer des ponts de Grave, sur la Meuse, et de Nimègue, sur le Waal.
• La 1ère division, au nord, devait prendre et tenir le pont d’Arnhem, sur le Rhin.
• La brigade polonaise ne serait engagée qu’à J+2, pour soutenir la 1ère division.
Après un repli désordonné à la fin du mois d’août et craignant une offensive sur la Hollande, les troupes allemandes du maréchal Model, s’étaient reconstituées et rétablies sur les fleuves et les canaux au sud du pays. Elles furent rapidement renforcées par la Ière Armée parachutiste du général Student et le IIe Corps blindé SS du général Bittrich composé de deux divisions de Panzer. Cette force, le groupe d’armées B, était en phase d’installation dans la région d’Arnhem. Ces éléments furent sous-estimés par l’état- major de Montgomery, qui ne croyait pas à la présence de forces allemandes importantes dans la région et évaluait plutôt l’ennemi à un groupe de combat blindé.
Le général Browning, commandant le Corps aéroporté britannique, avait émis des réserves quant à la distance et les délais à tenir avant l’arrivée des blindés du général Horrocks. Il se demandait si le pont d’Arnhem, situé le plus au nord du couloir, "n’était pas placé un peu trop loin". Le maréchal Montgomery lui assura que deux jours suffiraient pour effectuer la jonction et refusa de reporter l’opération pour ne pas laisser le temps à l’ennemi de se réorganiser davantage.
3 – L’ATTAQUE
Précédée par un pilonnage de la RAF des batteries antiaériennes et des aérodromes allemands, la plus grande armada aérienne de l’Histoire décolla, de Grande-Bretagne, à l’aube du dimanche 17 septembre 1944 : 1545 avions, 480 planeurs et 16500 combattants aéroportés. Le lendemain, 1360 avions et 1200 planeurs acheminaient des renforts aux trois divisions égrenées du sud au nord. Les divisions aéroportées vont alors mener chacune une bataille distincte : Veghel pour la 101e division, Nimègue pour la 82e division et Arnhem pour la 1ère division.
Du côté allemand, la surprise est totale. La Flak ne peut faire face à ce gigantesque assaut aérien et la Luftwaffe reste clouée au sol par manque de carburant. Mais les chefs allemands mesurent très vite l’ampleur de l’attaque qui se déroule sous leurs yeux. Ils réagissent très rapidement en lançant des contre-attaques blindées : la 9e division de Panzer SS sur Arhnem, la 10e division de Panzer SS sur Nimègue et les Fallschirmjäger sur les points clés du fuseau.
Largage des parachutistes[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] La 101e division US atteint ses objectifs 24 h après le largage sur ses DZ. Le 501e régiment s’empara sans difficulté de Veghel et des quatre ponts franchissant sur la rivière Aa et le canal Zuid Wilems. Le 503e régiment atteignit facilement Saint-Oedenrode, le passage sur la Dommel mais ne pu s’emparer de Best qu’après des combats farouches. Le 506e installa une tête de pont dans Zon, sur le canal Wilhelmine, après avoir empêché les Allemands de faire sauter le pont. Une fois ses objectifs atteints, le général Taylor décida d’ouvrir la route d’Eindhoven à Grave : 60 km parsemés d’embûches tant les chars et parachutistes allemands étaient présents. Cette route fut rapidement baptisée la "route de l’enfer" mais, le 18 septembre 1944, la 101e put effectuer la jonction avec les chars du 30e corps blindé britannique.
Dès son arrivée au sol, la 82e division US put difficilement détruire les batteries de la Flak, demeurées intactes. Puis, les 504e et 505e s’emparèrent des ponts de Grave et d’Heunem, alors que l’ennemi faisait sauter celui de Malden. La prise de la ville de Nimègue fut stoppée plusieurs fois par une forte résistance ennemie. Le 508e, renforcé du 504e, réussit à prendre le pont à revers après un audacieux franchissement nautique du Waal et de violents combats urbains. Le mardi 19 septembre 1944, la 30e corps blindé britannique put rejoindre la 82e division US. En huit jours de combats, elle perdit 2000 hommes.
4 – UN PONT TROP LOIN La bataille d’Arnhem, quant à elle, va durer neuf jours. Elle fut courageusement menée par la 1ère division du général Urquhart, les "Diables Rouges". Celle-ci est composée de la 1ère brigade de parachutistes du général Lathbury ainsi que de deux brigades aéroportées : la 1ère brigade du général Hicks et la 4e du général Hackett.
Si la mise à terre des paras britanniques s’effectua sans difficulté grâce à l’efficacité des pilotes et du balisage au sol, les événements se compliquèrent rapidement et chacun réalisa que la résistance allemande était beaucoup plus forte que prévue. En effet, les parachutistes et les planeurs s’étaient posés à une douzaine de kilomètres des ponts d’Arnhem, le commandement ayant préféré la solution de sécurité au largage au plus près des objectifs. Eloignés de leurs objectifs, les parachutistes furent très retardés par l’accueil enthousiaste que leur réserva la population hollandaise. Les rares planeurs qui s’écrasèrent transportaient une partie des véhicules, les célèbres Jeep Vickers, destinés à prendre le pont rapidement. De plus, la coordination des unités fut rendue très difficile par des problèmes de transmissions : faible puissance des postes et confusion dans l’attribution des fréquences. Ainsi, quelques bataillons furent isolés de leur échelon supérieur pendant plusieurs jours faute de recevoir des ordres par radio.
La 1ère brigade aéroportée, déposée par planeurs le 17 septembre après-midi, occupait la zone ouest d’Arnhem où devait arriver le lendemain la 4e brigade aéroportée. Dans le secteur de la 1ère brigade de parachutistes, le 2e bataillon du colonel Frost n’atteignit les lisières ouest d’Arnhem dans la nuit du 17 au 18 septembre qu’après de sérieux accrochages. En effet, ne disposant pas d’un armement antichar suffisant, il fut violemment pris à partie par les canons automoteurs allemands. En partie décimé au cours du combat, le bataillon réussit finalement à former un point d’appui au nord du pont. Progressant plus au nord, le 3e bataillon était fixé aux environs d’Hartestein.
Cherchant à se rendre compte de la situation, les généraux Urquhart et Lathbury furent pris sous les tirs ennemis et se réfugièrent chez des civils hollandais alors que le quartier était bouclé par les Allemands. Lathbury fut grièvement blessé lors de l’accrochage. Cerné toute une nuit dans la maison, Urquhart fut incapable de commander sa division et ne rejoignit son P.C d’Oosterbeek que le mardi 19 septembre.
Le mauvais temps s’abattit alors sur la Hollande quand, retardée par le brouillard, la 4e brigade aérotransportée atterrit en planeur dans l’après-midi du 18 septembre à l’ouest d’Arnhem. Renseignés par des documents pris aux alliés, les Allemands s’étaient réorganisés et les planeurs se posèrent sur des zones battues par le feu. Epuisés par des combats sanglants, les parachutistes réussirent à rejoindre le colonel Frost. Espérant l’arrivée imminente du XXXe corps blindé britannique, Frost occupait toujours la sortie nord du pont en repoussant les assauts et reprenait, au prix de lourdes pertes, les positions perdues. Le centre ville d’Arnhem se transforma en véritable champ de bataille et, malgré l’isolement des paras et la fournaise provoquée par les incendies, le mot d’ordre était de tenir jusqu’à l’arrivée des Sherman du général Horrocks.
En début d’après-midi du mardi 19 septembre, soit 48 heures après les premiers largages, Urquhart apprit que le pont de Nimègue était encore aux mains des Allemands. Il comprit alors que le XXXe corps blindé n’arriverait jamais à temps. Ne disposant que de faibles moyens antichars, privés de munitions et devant faire face à un ennemi très supérieur en nombre et en moyens, les "Diables Rouges" étaient promis au massacre. Les ravitaillements en munitions étaient inefficaces car tous les containers parachutés arrivèrent sur des zones tenues par l’ennemi. Aussi, et après avoir fait subir de lourdes pertes aux Allemands, il décida de se replier pour se rétablir en périmètre défensif dans les faubourgs d’Oosterbeek à quelques kilomètres d’Arnhem.
Le mercredi 20 septembre, lors d’une nouvelle contre-attaque au nord du pont, le colonel Frost fut grièvement blessé et remplacé par le major Gough. La position devenait indéfendable car les Allemands, ayant appris que le pont de Nimègue avait été franchi par les alliés, voulaient en finir avec ces "Diables Rouges".
Après 48 heures de report en raison du mauvais temps, la brigade parachutiste polonaise fut parachutée, le jeudi 21 septembre après-midi, au sud-ouest d’Arnhem dans le secteur du village de Driel. Largués sur les rives sud du Rhin, les hommes du général Sosabowski comptaient sur un bac pour rejoindre le périmètre défensif mis en place par le général Urquhart, tout en prenant contact avec les éléments avancés du 30e corps blindé. Celui-ci étant détruit, ils tentèrent de traverser le fleuve, dans le nuit du 23 au 24. Pris sous le feu des Allemands, cette opération de franchissement fut un échec total.
Retardé par les attaques de la Luftwaffe, le XXXe corps blindé ne parvenait toujours pas à rejoindre Arnhem. La 1ère division parachutiste britannique se trouva alors dans une situation désespérée quand, le lundi 25 septembre, le général Browning décida de faire évacuer sa division, ou plutôt ce qu’il en restait, et d’abandonner Arnhem. L’évacuation s’effectua, dans la nuit du 25 au 26, sur des embarcations qui assurèrent un va-et-vient à travers le Rhin pendant une durée de 7 heures. Seuls 2000 hommes purent gagner la rive sud. Ils furent aussitôt évacués sur la Grande-Bretagne. La 1ère division y perdit 7605 tués, blessés et disparus ainsi que tout son matériel.
5 – ENSEIGNEMENTS
L’opération Market Garden a vu l’engagement de 34.876 combattants aéroportés : 20190 sautant en parachute, 13871 débarquant de planeurs et 905 d’avions. De même, 1927 véhicules, 568 canons et 5230 tonnes de matériels et de ravitaillements ont été amenés par voie aérienne. Les unités aéroportées se sont battues avec un courage au-dessus de toute éloge contre un ennemi très supérieur en nombre et en moyens. Les parachutistes y perdirent 13.000 tués, blessés et disparus. Mais ce sacrifice ne fut pas vain car il permit de fixer les Allemands sur Arnhem et de leur infliger de lourdes pertes, facilitant ainsi la tâche des 82e et 101e divisions.
Comme tant d’autres exemples dans l’histoire, l’échec de Market-Garden est dû plus à un faisceau de causes convergentes qu’à une erreur unique. Selon l’historien britannique Martin Middlebrook, ces causes sont les suivantes :
- une sous-estimation de la capacité de récupération et de résistance des Allemands après le débarquement de Normandie, à laquelle seuls les généraux Urquhart et Sosabowski avaient échappé ;
- le fait que la 1ère division aéroportée n’avait pas été avertie de la présence, pourtant connue, de deux divisions blindées autour d’Arnhem ;
- la décision du général Browning d’installer son PC en Hollande, qui n’apportait rien à la conduite de la bataille et réduisit la première rotation de 36 planeurs ;
- les insuffisances du plan de transport aérien, en particulier le refus de larguer de nuit, le refus de parachuter au moins un élément à proximité des deux extrémités du pont, le refus d’effectuer deux rotations le premier jour et le choix de zones de saut éloignées de l’objectif. Tous ces facteurs privèrent les parachutistes de leur meilleur atout, la surprise ;
- l’incapacité de la part du commandement de la 1ère division de faire comprendre aux commandants de bataillon l’importance capitale de la rapidité d’exécution dans la saisie de l’objectif ;
- l’utilisation insuffisante des possibilités offertes par la Résistance et la population hollandaises ;
- l’utilisation insuffisante de l’appui aérien tactique ;
- l’erreur d’appréciation du général Browning concernant l’importance de la saisie du pont de Nimègue et la priorité à lui accorder ;
- la lenteur de la poussée de la IIe armée et du XXXe corps ;
- la mauvaise appréciation par le général Urquhart et son état-major de l’importance du bac de Driel et des hauteurs le dominant.
Ayant tiré les enseignements de cet échec, les alliés déclenchèrent, six mois plus tard, l’opération Varsity en vue de franchir le Rhin. Cette opération victorieuse allait précipiter la capitulation de l’Allemagne.
Sources :
- "Histoire et avenir des troupes aéroportées", du Général A. Merglen.
- "Arnhem", du Général R. Urquhart.
- "The Paras", de David Reynold.
- "Red berets’44", Illustrated London News.
- Histoire mondiale des parachutistes. Philippe Conrad,
- Historama.