Une petite histoire pour passer le temps ?
Vous savez, parfois il vous arrive des trucs alors que vous croyez bien faire...
Une histoire de balai...
L’autre jour, je l’ai rencontré dans la rue de la bibliothèque.
Le dos courbé, la casquette bien enfoncée, il manipulait lentement son balai.
D’un revers de pied il catapulta la canette de coca pour la faire atterrir dans sa brouette.
Magistral ce coup de pied !
En m’apercevant, il marmonna quelque chose d’incompréhensible et je hochais la tête d’un air entendu.
C’était une erreur.
Il se redressa brutalement et lança son balai tel un tambour major. Le temps pour l’engin à poils de tournoyer joliment m’a permis de comprendre que je n’avais rien compris. Rattrapé au vol, le balai se retrouva à l’horizontale à quelques centimètres de mon nez.
Pas question de bouger.
Lentement, il m’expliqua que j’avais tort d’approuver ce qu’il m’avait dit. Je lui répondis que j’étais un peu dur d’oreille et que je n’avais pas compris ses paroles.
Le balai hésita puis reprit lentement sa position verticale.
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Il parait que le maire veut mettre des poubelles partout. Imaginez mon travail ! Tous ces sacs à ramasser !-
Mais c’est mieux que de ramasser les papiers un par un non ?Son regard s’est allumé. Des yeux marron clair ont cherché les miens à travers mes lunettes sales et le manche du balai s’est figé.
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Vous ne parlez pas sérieusement Monsieur, dit-il d’une voix rauque, et poursuivant,
le mal de dos vous connaissez ?Oui, le mal de dos je connaissais. Mais engager la discussion sur l’importance d’une bonne position pour soulever les charges ne me semblait pas pertinent.
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Croyez-vous qu’il va pleuvoir ? lui dis-je l’air souriant pour lui changer les idées.
Ma question le perturba. Le ciel était bleu.
Il releva la tête à la recherche du moindre nuage et soudain, éclata de rire. Un rire sonore qui résonna contre le mur de l’église, remonta la rue et se perdit après avoir dépassé la boulangerie.
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Mais il n’y a aucun nuage Monsieur !Cette réponse était d’une logique implacable. J’avais le choix : parler des prévisions météo de la télé, de mes articulations qui annonçaient un changement de temps ou de ma grand-mère.
J’ai parlé de ma grand-mère.
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Ma grand-mère avait les yeux aussi bleus que ce ciel et elle me disait qu’il ne fallait pas boire tout de suite après avoir mangé des cerises. Il parait que ça faisait gonfler l’estomac. Longtemps après, quand j’étais plus grand, j’ai bu après avoir mangé des cerises. Eh bien, je n’ai rien ressenti. Ma grand-mère avait raconté des histoires. Et vous, votre grand-mère vous racontait des histoires ?Lentement, il a levé son bras.
Sa main gantée de jaune a saisi la visière de sa casquette.
D’un geste sec, il a retiré son couvre-chef et l’a remis visière à l’envers. Des deux mains il a saisi son balai et la pelle est tombée sur le trottoir avec un bruit d’enfer.
J’ai été sauvé par son collègue qui est arrivé de nulle part pour lui demander s’il avait l’heure.
Je ne saurai donc pas si sa grand-mère lui racontait des histoires…
Un jour j'ai rencontré... quelques secondes de la vie ordinaire. Editions "Il est midi".