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Ah! Janson
de Sailly, lycée où j’ai passé un court instant… Dans la cour une plaque rappelle les 98 morts et les 247 blessés du 2eme
bataillon de choc…
Bataillon de choc ?... Tout le monde connaît le 1er avec son patron le célèbre « Nimbus » mais qui a entendu parler du 2eme ?...
Pas grand monde, pourtant c’est dans ce
bataillon que l’on retrouve la plus grosse proportion
de futures célébrités…
Pourtant surtout, ce n’est pas ce n'est pas un truisme que la désertion, en temps
de guerre,
de tout un
bataillon…
Histoire peu banale que je vais tenter
de vous conter, celle du :
2eme Bataillon de Choc
Le bourdon
de Notre-Dame
de Paris, sonne à toute volée au soir du 24 août 1944…
Les coups
de canon
de la 2e D.B. du général Leclerc finissent d’arracher, après
de violents combats, la reddition
de tous les points d'appui allemands…
Une fusillade éclate lors du défilé du 26 août…. C’est la situation à Paris…
Comment en est-on arrivé là ?... Plantons d’abord, le décor du récit…
Le 6 juin 1944, les troupes alliées ont débarqué en Normandie.
Après les longues batailles
de rupture, les troupes U.S. percent à Avranches et foncent sur la Loire, où elles libèrent Orléans le 17 août.
Ce jour-là, les troupes anglaises, longtemps bloquées au-delà
de Caen, réussissent la percée vers Falaise.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Plaque du lycée…
Le 19 août - jour
de l'insurrection parisienne -les Alliés ont dépassé Dreux et Chartres: la route
de Paris est ouverte. La 2e division blindée du général Leclerc est désignée pour prêter main forte aux F.F.I. parisiens…
Le 25 août, le général von Choltitz - commandant
de la garnison allemande du Gross-Paris - signe, entre les mains du générai Leclerc, la reddition des derniers points d'appui dans la capitale.
Les troupes
de Leclerc et la population parisienne accueillent le général
de Gaulle, en un immense cortège entre l'Etoile et Notre-Dame, le 26 août. Cortége qui sera « agrémenté »
de ladite fusillade
Par ailleurs, en Provence, dès le 15 août, débarque la VIIe armée U.S. du général Patch.
Cette armée est constituée par l'accolement du 6e corps d'armée U.S. (à trois divisions) et
de la 1re armée française du général
de Lattre
de Tassigny, comprenant 5 divisions d'infanterie, 2 divisions blindées, 2 groupements
de Tabors et des éléments en réserve générale: commandos d'Afrique, commandos
de France et 1er
bataillon de Choc.
Remontant la vallée du Rhône, cette armée, repoussant la XIXe armée allemande, elle libère Lyon le 4 septembre.
Les Allemands vont tout mettre en œuvre pour récupérer les troupes refluant du sud-ouest vers la vallée
de la Loire et celles retraitant du Rhône vers la Saône.
Le 13 septembre les troupes U.S. venant
de Normandie (armée Patton) et
de Provence (armée Patch) font leur jonction dans la région
de Dijon, libéré le 12 par la 1re armée française.
Le 14 septembre, la division Leclerc et l'armée
de Lattre se rejoignent à Châtillon-sur-Seine.
Le lendemain sont libérés Langres, Gray-sur-Saône, Vesoul et Nancy.
Ainsi les Alliés avaient atteint, à fin septembre, un front sur lequel la résistance allemande était devenue solide...
A leur droite, la trouée
de Belfort, encadrée par les contreforts montagneux, était puissamment fortifiée. Plus au nord, la haute barrière des Vosges formait un bastion couvrant l'Alsace. Enfin, plus haut, la Sarre était doublée, sur ses deux rives
de deux positions aux moyens puissants : la ligne Maginot et la ligne Siegfried.
Dans le même temps, se constituait au lycée Janson
de Sailly à Paris - dès la libération
de la capitale - une unité qui accueillait les volontaires prêts à renforcer l'armée combattante…
Cette « aristocratique caserne-lycée» est due à l’idée du « comité local
de Libération» du XVIe arrondissement, dont le président Warluzel, maire provisoire
de ce quartier huppé, et le colonel Lafay dirigent les débats.
Ce comité est formé
de mouvements
de résistance nationaux où se retrouvent pèle-mêle: « Libé-Nord, l'O.C.M.,les F.T.P., le Front national, Défense
de la France» et d'autres, dans une compétition où rivalisent les intentions brusquement mises à jour…
Le 1er R.M.I.P. (Régiment
de Marche d'Infanterie Portée), c’est son nom, se constitue …
Mais que recherchent ces volontaires ?... Avant tout à participer à la libération définitive du pays…
A leurs yeux et a ceux des quelques officiers, ils ont entrepris la création d'une unité destinée à rejoindre la 2e D.B. ou la 1re armée française…
Les volontaires affluent nombreux et, en quelques jours, sont constitués deux bataillons l'un confié au commandant Jean Berger, l'autre placé sous le commandement du capitaine
de Frégate Marchand. , 6 compagnies
de 90 hommes par
bataillon, 3 sections par compagnie…
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Insigne 2eme
Choc… Frappe locale… Sans le 2
Rapidement, le système D français se met en place…
On enlève les tables des classes du lycée et on y met des paillasses. On trouve des couvertures dans des dépôts allemands, on y trouve également des conserves et... quelques fusils.
On va donc pouvoir commencer l'instruction tout
de suite, on se passera les fusils….
Le capitaine Jouandet propose, pour le 1er
bataillon,
de remplacer les sous-officiers et caporaux instruits qui nous manquent par des chefs
de patrouilles et
de troupes ayant fait leurs preuves dans le scoutisme….
Ils devraient savoir se faire obéir malgré l'absence
de connaissances militaires…
Ils donneront entière satisfaction et seront titularisés par la suite.
Pour la nourriture aussi, le système D fonctionne à plein…
Outre les conserves allemandes, on se procure du pain. D'ailleurs la plupart des hommes habitent le quartier et vont manger chez eux.
Pas d'uniformes, à part ceux que pouvaient détenir les officiers et sous-officiers qui venaient, pour la plupart, des réserves.
De suite l’instruction commence… Initiation à l'école du soldat sans arme et à l'ordre serré… Ils apprennent à marcher en colonnes et au pas…
Avec les quelques dizaines
de fusils allemands en leur possession, commence le maniement d'armes.
Les cours du lycée retentissent
de commandements,
de piétinements plus ou moins cadencés qui se heurtent et se chevauchent…
Malheureusement, leur action sera vite connue en « haut lieu» et ils seront vite chargés
de la garde
de certaines administrations, ministères et autres points importants
de ce Paris fraîchement libéré.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]L’aspirant Billecocq du 2e
choc, esplanade des Invalides, août 1944
Chargé
de l'instruction des sous-officiers, le capitaine Jouandet put trouver dans une imprimerie des livres d'avant-guerre sur le service en campagne et il commença des « conférences » car, pour la pratique, il aurait d'abord fallu être dans la campagne…
Le bois
de Boulogne n'est pas loin, et les compagnies iront y faire l'exercice. Mais peut-on parler sérieusement d'instruction tant ils sont mélangés à la foule des promeneurs?
Bien entendu une commission « d’épuration » formée d'officiers des trois armes, était chargée
de filtrer les candidats-volontaires, comme ce sera l’usage dans ces temps là…
Le capitaine Jouandet, qui ne manquait pas
de finesse, avait averti ses hommes:
« - Vous allez passer devant une commission qui va vous interroger sur vos actes
de résistance .
- Ben! mon capitaine, c'est-à-dire…
- Il y avait bien une barricade dans votre quartier?
- Oui, mon capitaine.
- Eh bien, vous y étiez, vous m'entendez, vous y étiez! »
Avant
de connaître la griserie, supposée, des combats ce sont malheureusement les vicissitudes
de la vie militaire: marches, maniement d'armes, missions
de police, qui occupent ces jeunes hommes qui rêvaient d'actions plus exaltantes…
Déjà un obscur malaise fait place à l'enthousiasme délirant des premiers jours.
De toute part on maugrée, on s'impatiente, la discipline se relâche: « Nous ne nous sommes pas engagés pour cela! »…
Des désertions commencent à se produire, pour un engagement ailleurs; au milieu
de septembre, l'opinion est que les hommes
de ces bataillons ne feront rien…
Pourtant, ils n'ont pas tout quitté pour se retrouver impliqués dans les manœuvres politiques inévitables
de cette période troublée! L'heure est au conflit occulte entre les deux résistances: la gaulliste et la communiste.
Un jour, enfin, on distribue des vêtements militaires américains… Soulagement…
Mais, dès lors, le service
de garde extérieur prit une ampleur inquiétante. Certains virent bientôt le moment où le
bataillon définitivement affecté à Paris … Et ils ne s’étaient pas engagés pour cela…
Le colonel RoI-Tanguy, commandant des F.F.I.
de la région
de Paris, passe en revue les troupes
de Janson.
Il est stupéfait
de la discipline et
de la bonne présentation
de cette jeune troupe…
Il annonce à son entourage que ces formations vont être incorporées, disséminées, dans les milices parisiennes chargées
de la « police» et
de la répression ... Le propos transpire rapidement….
C'est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, c’est aussi le moment
de passer à l'action pour éviter le pire…
Des contacts sont pris clandestinement avec le colonel
de Langlade, commandant l'un des groupements
de la division Leclerc…. Mais cette unité ne peut accepter que des engagements individuels.
Reste un seul espoir: la 1re armée française et son chef, le général
de Lattre
de Tassigny, qui est prêt à faire l'amalgame avec les troupes
de l'intérieur…
Mais le secret le plus absolu devra être gardé, car il ne peut être question que d'une véritable « fuite à l'ennemi ». Et enlever un
bataillon de plus
de cinq cents hommes à Paris n'est pas chose facile ...
C'est donc d'abord en secret que deux capitaines (Fougerolles et Brassens) sont envoyés à la Ire armée, un faux ordre
de mission en poche. Une voiture est prêtée par un homme du
Bataillon. Ils partent, le cœur gonflé d'espérance mais aussi
de crainte. Seront-ils seulement reçus par le grand chef?
Il est, toujours grâce au système D, trouvé une Viva Grand Sport…
.La nuit sera consacrée à siphonner des voitures dans la rue pour remplir les jerricans...
Puis c’est le départ avec le capitaine
de Fougerolles, J. Malézieux-Dehon et le capitaine Brassens…
La voiture est excellente, quoique sans freins, sauf le frein à main !
Au kilomètre 50 le réservoir se détache…. Panne miraculeuse devant un ferrailleur, où se trouve, par hasard, un vieux lit d'enfant. Un décor métallique en forme
de S permit d'accrocher le réservoir à la suspension et, fouette cocher, en avant pour Dijon!
Malgré ces avatars, les deux capitaines arrivent et réussissent à se faire recevoir par des officiers
de l'état-major et à résoudre avec eux une partie des nombreux problèmes logistiques que soulevait l'arrivée soudaine
de cinq cents hommes….
H. Guézennec rapporte ce dialogue au P. C. du général
de Lattre à Dijon.
« Vous demandez le général
de Lattre, Messieurs?
- Oui ... Non ... Mais nous venons
de Paris pour une communication urgente.
- Bien, le chef d'état-major va vous recevoir. » C'est une étape.
« Vous venez
de Paris porteurs d'une communication urgente pour le général, mes chers camarades? Bon, il vous recevra tout à l'heure. »
Ouf! Les deux hommes se regardent en silence ...
« Le général vous attend. »
D'un débit rapide, heurté, le souffle court, pendant un quart d'heure, se relayant l'un l'autre, à tour
de rôle, ils exposent le but
de leur mission….
Le général n'a pas dit un mot, ne les a pas interrompus une seule fois. Seul son regard d'acier s'est posé alternativement sur les deux hommes, les a fouillés jusqu'au fond d'eux-mêmes.
Le plaidoyer terminé, le général s'est levé, est venu vers eux, et les prenant chacun par une épaule:
« Vous êtes deux chics types; je vous prends avec moi. Une seule condition: vous serez présents mardi matin (nous sommes jeudi soir) avec votre
bataillon. Je verrai si vous êtes hommes
de parole. »
Il fallait donc être à Gray, un mois après la libération
de Paris, faire trois cent cinquante kilomètres sans aucune aide officielle avec cinq cents hommes, alors qu'il n'y avait pas
de chemins
de fer et, un peu partout, des ponts coupés.
Et cela contre l'avis
de certains services, plus ou moins officiels, qui avaient mis la main sur le
bataillon (donc sans autorisation possible), partir pouvait sembler une histoire
de fous… Et pourtant …
Tout d'abord, le 1er
bataillon partira seul. Secret absolu, ne prévenir ni les hommes ni même les officiers. En fait, ils sont juste quatre ou cinq dans la confidence.
Le commandant en second, Jean Berger, connaît le directeur d'une société
de transport qui a assuré, en partie, le ravitaillement
de Paris pendant l'occupation…
...Il obtient les voitures nécessaires qui viendront nous attendre le long
de l'avenue du président Wilson.
A 17 heures, chaque capitaine convoque ses officiers: «Messieurs, ce que j'ai à vous dire réclame que vous me donniez votre parole d'honneur
de garder le secret. »
On les informe des décisions prises. C'est dans l'enthousiasme que chacun envisage cette fuite qui donnera enfin la possibilité
de servir.
Ce soir-là, le 1er
bataillon effectuerait officiellement un exercice
de nuit…
La manœuvre se résumait en une marche à travers le bois
de Boulogne, encore dans le « black-out» le plus total.
Les hommes, consignés à partir
de 16 heures, avaient la permission
de se rendre chez eux avec le conseil
de se pourvoir en vivres et couvertures
Vingt et une heures: les fils téléphoniques sont coupés. Deux officiers, tenus à l'écart
de ce qui se préparait, ont été « neutralisés »…
Des papiers «oubliés» dans une corbeille devaient laisser supposer un départ pour Royan, où les Allemands se défendaient encore. Cela pouvait faire gagner quelques heures...
La garde des portes du lycée, ce jour-là, incombait au 1er
bataillon: donc pas
de difficultés pour sortir et une sécurité
de plus contre une alerte; la section
de garde, abandonnée évidemment sans ordre, devait rejoindre ultérieurement… Elle le fera avec un renfort non prévu alors.
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Dans la cour
de Janson
de Sailly, au garde à vous approximatif, après la perception des effets US
Les compagnies partent isolément, les souliers américains à semelles caoutchouc sont bien utiles pour un départ discret….
Place du Trocadéro et place d'Iéna, trente-cinq camions et une dizaine
de voitures, sont rangées le long du trottoir en direction
de la Seine…
Le fractionnement et l'embarquement se font aussi silencieusement que possible… Un fusil 36 et cinq cartouches, arment chaque véhicule…
Deux agents font les cent pas et souhaitent bon voyage; bien entendu, ils ne sont pas dans la confidence….
Le convoi est formé
de voitures disparates: des camions diesel, des camionnettes, quelques voitures particulières, des voitures à gazogène, marchant au bois qui ne peuvent suivre. On leur donne le point d'arrivée et l'ordre ...
de se débrouiller. Elles rejoindront.
A 21 heures commence la traversée
de Paris, en une longue colonne, elle s'effectue sans difficultés mais aussi sans discrétion. Des hommes se mettent à chanter, ce qui n'est pas indiqué pour passer inaperçu...
…Le temps est affreux. Il pleut avec une constance regrettable et plusieurs voitures ne sont pas bâchées. Le voyage sera un supplice pour certains.
Au matin, grande halte en contrebas d'un, alors petit village inconnu, à l'hospitalité généreuse: Colombey-les-Deux-Églises ...
L'accueil est chaleureux. La population sert pain et fromage ainsi que lait et café qui furent, on s’en doute, appréciés après cette inconfortable nuit.
« Briefing» des commandants d'unité… Sur les approches du plateau
de Langres des éléments suspects sont signalés… La région n'est libérée que depuis quinze jours et n'a fait l'objet que d'un nettoyage sommaire…
Il convient donc
de prendre quelques mesures
de sécurité et le chef
de l'expédition décide
de rassembler tout l'armement disponible pour former un détachement d'intervention….
On arrive à constituer un groupe d'une dizaine d'hommes, disposant d'un fusil mitrailleur,
de quelques fusils, P.M. et P.A., qui embarquera sur un même camion.
La colonne s'étire encore sur plus
de cent kilomètres. Il est impossible d’attendre les dernières voitures … Elles rejoindront, sans incident, plus tard…
Le convoi arrive enfin à Gray… Le cantonnement est inexistant …Les hommes se débrouilleront, et seront très bien reçus par la population qui les prend spontanément en charge.
Le 27 au matin, le
bataillon est rassemblé, à l'heure prévue, le long
de la Saône.
Le général
de Lattre arrive avec un sérieux retard et le passe en revue… Ce ne fut pas une revue ordinaire :
Rangés en ligne sur deux rangs, le général passe devant chaque homme et lui demande: nom, âge, instruction, domicile, etc.
Il les félicite; le
bataillon dépasse
de loin toutes ses prévisions: cinq cents hommes dont plus
de la moitié sont bacheliers!
Il leur reproche seulement
de n'être que cinq cents :
- Il faut porter votre effectif à mille hommes. - Débrouillez-vous!
Dés lors, pris en charge officiellement, le
bataillon Janson
de Sailly, reçoit l'ordre
de gagner le camp du Valdahon pour y faire son instruction….
Mais, pendant ce temps là, que se passe-t-il à Paris… ?
C’est ce que nous verrons bientôt si, toutefois, se manifeste un certain intérêt pour la chose…
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